Le cinéma de Masumura ne connaît pas les contes de fées, ou les douces romances, dans lesquels se croisent jeune fille en fleur et prince charmant... Avec lui, les histoires d'amour les plus pures s'écrivent toujours à l'encre de la douleur et la passion ne peut être que démesurée, brutale et cruelle... Ainsi, pour témoigner de la violence de ce déferlement émotionnel qui malmène les principaux protagonistes telle une coquille de noix prise en pleine tempête, notre homme adopte une mise en scène volontairement audacieuse, voire excessive, comme ce fut le cas avec ces œuvres les plus célèbres : Manji ou Môjû. Seulement, avant cela, Masumura avait affiné son style à travers des œuvres de jeunesse sans doute plus classiques mais pas moins passionnantes, bien au contraire. Ainsi, avec Tsuma wa kokuhaku suru il ne se contente pas de revisiter le mélodrame nippon mais il parvient, de fort jolie manière, à unir le romantisme avec l'instinct de mort en développant son histoire à travers la grille de lecture du film noir. En découle alors un film d'apparence un peu sage mais construit de manière brillante et audacieuse. Rarement un film de Masumura n'aura apparu aussi bien maîtrisé, sombre et prenant... mais surtout, rarement Ayako Wakao n'aura été aussi sensuelle, perverse et vénale qu'ici...


Si on retrouve les thématiques habituelles du bon vieux mélo (l'amour impossible, le triangle amoureux, etc.), Tsuma wa kokuhaku suru se démarque surtout par sa forme qui adopte scrupuleusement celle du film de procès. Au centre de toutes les attentions, on retrouve une femme, Ayako. On l'accuse d'avoir tué son mari pour pouvoir s'enfuir avec son amant après avoir touché la prime de l'assurance-vie. Argent, sexe, meurtre, on retrouve les ingrédients habituels des films noirs, avec un début d'intrigue qui ressemble notamment au fameux Double Indemnity de Billy Wilder. Mais surtout, Masumura profite de ce cadre pour passer aux grilles les sentiments humains : plus qu'une affaire de meurtre, c'est une relation amoureuse qui est jugée ! Ayako aimait-elle son mari ? Avait-elle réellement un amant ? Voilà autant de questions que nous pose le cinéaste en nous plaçant d'office dans la peau du juré. La séquence inaugurale du film nous introduit d'ailleurs dans cette fonction puisque nous suivons le mouvement de va-et-vient d'un objectif qui cherche à apercevoir l'accusée avant le début du procès... Dès que nous apercevons Ayako, notre jugement est troublé : elle incarne à la perfection la femme fatale que l'on croise habituellement dans le cinéma noir. Pourtant, de cette image de parfait coupable, nous devrions nous en méfier car les apparences sont souvent trompeuses ! Et c'est là-dessus que va jouer Masumura pour nous tromper et nous balader tout au long d'un procès au cours duquel on devra démêler le vrai du faux, au gré des différents témoignages et des nombreux flash-back qui vont venir enrichir le récit.


Bien sûr, la métaphore employée par le cinéaste est assez évidente : une jeune femme se retrouve suspendue dans le vide entre son amant et son butor de mari : si elle reste une épouse soumise, c'est la mort qui l'attend ; seule l'émancipation peut lui permettre de rester en vie. Cela paraît un peu facile, certes mais, finalement, c'est avec une certaine maestria que Masumura rejoins Clouzot dans sa quête de la vérité : comme ce dernier, il va se servir du procès pour réaliser l'autopsie d'un couple et d'une relation amoureuse. À travers cela, c'est bien la société nippone tout entière qui est mise au banc des accusées pour son phallocratisme et son entêtement à rester arc-bouté sur des principes séculaires. La réalisation de Masumura rend très bien compte du regard accusateur que pointe la société sur la femme et sur le couple immoral : gros plan sur les accusés, travail sur la profondeur du champ pour accentuer le rapport de force déséquilibré entre les deux partis, soin apporté à la photographie pour exalter l'ambiance sombre et oppressive qui entoure le procès. L'atmosphère devient rapidement suffocante, la pression sociale omniprésente. L'unique bouffée d'oxygène qui nous sera concédée par Masumura, nous sera apportée par Ayako Wakao, dont la seule présence suffit à imprégner magnifiquement la pellicule.

Procol-Harum
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le 12 nov. 2021

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