Fadasse et glucosée à souhait, la comédie romantique de ces dernières années avait réussi l'exploit de nous faire oublier le plaisir que l'on éprouve, parfois, devant une histoire, simple et colorée, où l'on se prend dans les bras après s'être copieusement invectivés... En investissant ce genre terriblement codifié avec Pillow Talk, Michael Gordon cherche moins l'innovation que la dérision et il nous surprend par sa fantaisie et son humour. Pour tout dire, l'histoire ne brille pas par son originalité et le film pourrait même agacer tant il semble ancré dans son époque et témoigne de préoccupations machistes d'un autre temps. Et pourtant, tout fonctionne à merveille car rien n'est vraiment pris au sérieux, à part le rire et la bonne humeur.


Le simple énoncé de son argument principal (quiproquo autour d'une ligne téléphonique partagée) suffit à donner au film un aspect incroyablement daté. On l'imagine difficilement aujourd'hui, à une époque où les téléphones mobiles sont légion, mais il fut un temps où certaines personnes étaient contraintes à partager un même numéro, une même ligne téléphonique. Évidemment, la bonne idée de départ est de transformer cette liaison téléphonique en liaison amoureuse ! Pour ce faire, Gordon et son équipe lorgnent du côté du maître en la matière, Ernst Lubitsch, et s'inspirent ouvertement de deux de ses films : The Shop Around the Corner et Design for Living. Du premier, on retrouve cette histoire astucieuse, source évidente de quiproquo, qui fait se rencontrer deux êtres sans se voir et qui installe la romance entre deux personnes qui se détestent initialement. Du second, on retrouve surtout sa verve et son audace à aborder aussi ouvertement la question sexuelle. Et c'est bien parce que le film paraît quelque peu désuet que l'on se délecte autant de sa douce irrévérence et de son humour coquin.


Comme cela a été mentionné précédemment, l'histoire n'est en rien d'original et on devine rapidement les grandes lignes du scénario ainsi que les rebondissements possibles. Doris Day interprète Jan, décoratrice d'intérieurs et célibataire endurcie, qui a le grand malheur de partager sa ligne de téléphone avec Brad (Rock Hudson), un compositeur de musique forcément "don Juan" invétéré. Le triangle amoureux se complète avec Jonathan, l'associer de Brad, qui s'est entiché de "l'autre extrémité de la ligne" de son ami. Si tout cela est assez classique, on se réjouira surtout de l'humour grivois et salace qui en découle. L'efficacité de l'écriture nous charme immédiatement et nous permet d'assister à de savoureux moments de cinéma, pimentés comme il faut de répliques vachardes et de sous-entendus sexuels. On rit, toujours de bon cœur, devant ce festival haut en couleur où les bons mots ne manquent pas : on s'amuse de cette confusion, malicieusement entretenue, entre frustration téléphonique et sexuelle, de ces allusions grivoises à peine masquées qui tombent toujours juste dans la discussion (Jan qui est prête à payer l'addition ou à goûter le vin avant de se décider, etc.). C'est délicieusement mordant, parfois un peu facile, et au final terriblement jubilatoire.


Mais surtout, Gordon ne manque d'imagination afin d'illustrer au mieux les péripéties amoureuses de ses personnages. Ainsi l'utilisation du split screen, lui permet non seulement de dynamiser sa mise en images mais également de composer de vrai moment de sensualité comme avec cette séquence qui donne l'illusion d'un bain partagé entre Jan et Brad. L'humour, quant à lui, se trouve dopé aussi bien par les éléments visuels (la statue ou le lit dépliable qui tourne en dérision le don Juan) que par les chansons (le running gag de la chanson entendue au téléphone ou celle qui révèle à Brad son hypocrisie).


Même si Pillow Talk reste cantonné au registre de la comédie légère, on ne pourra que savourer un film qui exploite pleinement toutes les possibilités offertes par son scénario. D'ailleurs, c'est sans doute cela le remarquable ici : la moindre situation, même la plus anodine, n'est jamais gratuite et débouche toujours sur un gag, une repartie cinglante ou un sous-entendu salace. Bien sûr, tout ne fonctionne pas toujours à merveille et certains gags paraissent lourds voire désuets (le running gag de "l'homme enceint", les allusions aux homosexuels...). Mais dans l'ensemble, on rit franchement et on appréciera notamment le potentiel comique des personnages secondaires : Alma, la femme de chambre continuellement assoiffée et jamais rassasiée de saillies verbales, ou encore Jonathan, le serial noceur, dont un simple arrêt à la réception d'un hôtel ou dans un restaurant routier donne lieu à un sommet d'humour ou d'ironie.


Visuellement, le film assume sa délicate excentricité, ses coloris roses, ses décors kitsch et même les looks parfois improbables de Doris Day. Il en résulte un charme indéfinissable qui sied à merveille à la douce fantaisie entretenue par Gordon et les différents interprètes (Day et Hudson, notamment, magnifiques de complicité). Sans se prendre au sérieux, Pillow Talk revisite avec énergie le vaudeville et se contente, si je puis dire, de délivrer à son spectateur légèreté et baume au cœur.


Créée

le 12 août 2023

Critique lue 13 fois

1 j'aime

Procol Harum

Écrit par

Critique lue 13 fois

1

D'autres avis sur Confidences sur l'oreiller

Confidences sur l'oreiller
Before-Sunrise
7

Pillow Laugh

Comédie américaine de la fin des années 50, Confidences sur l'oreiller en possède tout le charme. C'est à la fois drôle, rythmé, burlesque, incroyablement kitchouille sur le plan des décors (oui le...

le 27 oct. 2011

6 j'aime

Confidences sur l'oreiller
NaiaPhykit
8

Critique de Confidences sur l'oreiller par NaiaPhykit

Pillow talk est le premier des trois films du Trio Rock hudson, Doris Day et Tony Randall, sortit en 1959 il sera suivi en 1961 de un pyjama pour deux (Lover come back) et en 1964 de send me no...

le 8 juil. 2013

2 j'aime

Confidences sur l'oreiller
Boubakar
9

Génial !

Je n'ai pas adoré, j'ai été littéralement envoûté par ce film !!!! Certes, on sait parfaitement ce qui va se passer (d'ailleurs, la jaquette du dvd....), mais ça marche à merveille sur la variation...

le 14 juin 2011

2 j'aime

1

Du même critique

Napoléon
Procol-Harum
3

De la farce de l’Empereur à la bérézina du cinéaste

Napoléon sort, et les historiens pleurent sur leur sort : “il n'a jamais assisté à la décapitation de Marie-Antoinette, il n'a jamais tiré sur les pyramides d’Egypte, etc." Des erreurs regrettables,...

le 28 nov. 2023

84 j'aime

5

The Northman
Procol-Harum
4

Le grand Thor du cinéaste surdoué.

C’est d’être suffisamment présomptueux, évidemment, de croire que son formalisme suffit à conjuguer si facilement discours grand public et exigence artistique, cinéma d’auteur contemporain et grande...

le 13 mai 2022

78 j'aime

20

Men
Procol-Harum
4

It's Raining Men

Bien décidé à faire tomber le mâle de son piédestal, Men multiplie les chutes à hautes teneurs symboliques : chute d’un homme que l’on apprendra violent du haut de son balcon, chute des akènes d’un...

le 9 juin 2022

75 j'aime

12