Le seul fait de voir l'affiche de The Conversation où un homme seul écoute des bandes de magnétophone promet de longues minutes de banal, d'ennuyant, de non-signifiant où nous serions plongés dans la pénombre avec d'incessants bobinages, rembobinages et d'interminables écoutes répétées. Et c'est vrai que l'on a connu plus excitant comme thème de départ.
Mais comme c'est Coppola qui l'a écrit, le scénario ménage des rebondissements que j'essaierai de ne pas tous dévoiler. Les premières images sont cultes. Une vue en plongée verticale montre des anonymes qui circulent dans un square de San Francisco. On zoome sur un mime de rue, genre le clown Pop qui suivait les gens sur les Champs Elysees dans les années 80, pour l'émission La Caméra Cachée, et imitait les attitudes des passants à leur insu. L'émission faisait beaucoup rire à l'époque , avec l'aide peu discrète de gros éclats de rire préenregistrés mais ne montrait jamais les mandales que se prenait régulèrement le pauvre Pop.
Après quelques brefs séjours aux urgences, Pop, le nez toujours aussi rouge mais avec plusieurs dents en moins, décida de passer la main et se fit embaucher dans les assurances. Le mime de rue qui s'insère brièvement dans l'intimité d'autrui n'est évidemment qu'un avatar de l'expert en écoutes à la fois invisible et inaudible campé avec retenue par Gene Hack-mann le bien-nommé. Mais Harry Caul n'a rien d'un clown : c'est un personnage tragique, introverti, religieux, hanté par le Mal qu'il a déjà provoqué dans l'exercice de son métier et recherchant la rédemption.
Harry Caul (difficile de ne pas voir dans ce nom Coppola lui-même) est un perfectionniste dont l'obsession est de tout maîtriser. Son job consiste à faire pour le compte de clients privés et moyennant finance de la surveillance de conversations publiques du genre de celles que tout le monde peut aisément entendre à la terrasse des cafés.
Mais non, je déconnais. Je voulais dire qu'il fait des enregistrements de conversations secrètes, bien sûr, c'était juste pour voir si vous me lisiez trop vite. Il est donc un expert reconnu dans son métier de spécialiste des écoutes.
La procédure habituelle se grippe quand le commanditaire à qui il devait remettre les bandes en mains propres est remplacé par un inconnu inquiétant (Harrison Ford) qui semble vouloir la jouer en solo.
Son travail pour lequel il a tout sacrifié lui apparaît dès lors pour ce qu'il est en partie : un sale boulot de mouchard commandité par de riches patrons de sociétés sans scrupule. Au lieu de se faire payer et de prendre ensuite des vacances pour se la couler douce au soleil, Caul se replonge encore plus dans son travail pour mener sa propre enquête comme un détective privé. Répondant au call of duty, à l'appel du devoir, il décide alors de se transformer en défenseur du couple qu'il était chargé d'espionner, après avoir réussi à capter non sans mal les paroles inaudibles des jeunes gens (qui marchaient dans un espace public pour précisément échapper aux écoutes). « Il nous tuerait s'il en avait l'occasion ». Une nouvelle fois nous sommes manipulés par la magie du cinéma : des paroles banales d'un couple qui conviennent d'un rendez-vous dans un hôtel, maintes fois écoutées et réécoutées, se transforment après les longues séquences d'investigations sur le son en une menace mortelle qui pèse sur eux.
N'ayant plus rien à prouver dans son job, Harry Caul cherche dans un premier temps à transmettre son savoir à son collègue Stan interprété par John Cazale. Mais pas plus fiable que Fredo Corleone dans le Parrain 2, Stan ne pense qu'à se marrer bêtement en écoutant les conversations privées. Un peu plus tard va se présenter une occasion de rencontre féminine en la personne de Meredith (Elisabeth Mc Rae). Mais la déclaration amoureuse enflammée dévie vers des exigences inacceptables : Meredith doit s'engager à ne rien connaître de sa vie et à accepter ses absences sans explication. Les collègues d'Harry qui ont tout enregistré se moquent alors de lui en lui faisant tout réécouter.
Les bandes enregistrées qui étaient restées en la possession de ce petit canaillou d'Harry Caul finissent par lui être volées. La prise de conscience de sa situation intervient brutalement et trop tard: il se croyait une sorte de Dieu omniscient, il s'aperçoit qu'il n'est qu'un voyeur qui vit dans une solitude totale, revers de sa discrétion profesionnelle obligée et qu'il ne pourra probablement jamais en sortir. Ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou, disait Nietzsche.
Et quand une voix dans son téléphone (dont personne ne connait le numéro) lui dit qu'il est sur écoute Harry Caul nous fait un méchant pétage de plomb. Ne plus être invisible, être surpassé dans son propre domaine, celui des écoutes, est inacceptable pour lui. Il met alors son appartement sans dessus-dessous pour trouver le micro, saccageant tout même les lattes du plancher . Le domicile protecteur avec triple serrure est transformé en véritable fury room. Sans bien sûr rien trouver. Il ne reste plus à notre triste héros qu'à prendre le seul objet encore intact, le saxophone ténor, comme à chaque fois qu'il se sent seul, pour jouer un air de jazz mélancolique qui souligne le temps qui a passé trop vite.
D'après mes informateurs le micro était caché dans la sangle du saxophone !
Ce film est le plus personnel de Coppola. Il date de 1974 et de fait il n'est pas démodé. Il n'y avait alors pas de caméras de surveillance à cette époque, pas de hackers s'introduisant dans la vie privée.
C'est vraiment dommage que The Conversation reste si méconnu dans la filmographie de Coppola.