Le cinéma américain des années 70 est marqué par une paranoïa inhérente à la société américaine de l’époque. Qu’il s’agisse de la multitude de théories complotistes autour de l’assassinat du président Kennedy en 1963 à Dallas, de l’accident de son frère Ted à Chappaquiddick en 1969 (dont s’inspirera le Blow-out de De Palma) ou le Watergate de Nixon, le pays traverse une période où tout citoyen se sent surveillé en permanence.


Cette décennie est également celle qui voit apparaître une toute nouvelle forme de violence. Par le biais des images de la guerre du Vietnam retransmises à la télévision, les foyers (et donc le territoire) américains, deviennent, dans l’imaginaire cinématographique, le lieu de toutes les horreurs (cf. Massacre à la Tronçonneuse).


S’ouvre ainsi une ère où les films naissent de cette obsession qu’on de nombreux cinéastes pour ces images dont l’Amérique s’abreuve. Sous couvert d’une histoire d’écoute menée par Harry Caul, génie de la surveillance privée, Coppola nous livre avec Conversation Secrète un grand film paranoïaque, une représentation de la démence d’un pays obsédé par son reflet. Parmi tous les spectres florissant dans les années 70, c’est la figure de JFK qui hante tout le film. Coppola choisi de reproduire, presque à l’identique le lieu où la tête du président « éclaboussera » l’histoire de l’Amérique à tout jamais. (https://www.youtube.com/watch?v=iU83R7rpXQY)
La scène d’ouverture est, à ce titre, l’essence même du film. Sans parler du fait que la place sur laquelle le film démarre renvoie directement à la Dealy Plaza (place de Dallas où Kennedy fut tué), toute l’introduction est mise en scène dans les moindres détails comme une reconstruction du meurtre du président. Qu’il s’agisse du nombre de micros (3, comme le nombre de balles qui furent tirées en 1963) ou du matériel des preneurs de son, équipés de lunettes de visées rappelant des snipers, rien n’est laissé au hasard. Finalement, seul l’image fatidique manque : celle pour laquelle toute l’Amérique a tremblé et qui constitue l’image autour de laquelle gravite le film.
Si Abraham Zapruder venu immortaliser le défilé du président, a filmé le tir et l’éclatement du crâne de ce dernier, Caul vient ici enregistrer une conversation qui, pourtant anodine, recèle quelque chose de beaucoup plus grave. L’idée ici est que le personnage de Harry Caul a enregistré quelque chose qu’il n’aurait pas du, quelque chose qu’il ne devait pas entendre. Et, de la même manière que le personnage de Thomas dans Blow-up (dont Conversation Secrète s’inspire largement), il va procéder à un resserrement du son autour d’une phrase capitale de la bande magnétique qu’aucun des preneurs de son n’a pu capter en raison d’un musicien trop bruyant.
Va s’opérer à partir de là un fort parallélisme entre le montage sonore qu’opère Caul pour se rapprocher le plus possible de la vraie conversation - en tout cas de son intégralité - et le montage du film lui-même que Coppola nous propose, celui que nous sommes supposés regarder. Car si nous disposons de tous les éléments sonores dont nous avons besoin pour reconstituer le dialogue, aucune image n’est capable d’appuyer visuellement cette dernière. En effet, s’il on est forcé de croire ce que nous montre Coppola, ou plus exactement les pensées de Caul, rien ne permet d’affirmer la véracité de ces images. Le film opérant intégralement dans la tête de notre héro, le doute est permis.

Coppola expliquait qu’il souhaitait une mise en scène rappelant le filmage d’une caméra de surveillance. « Par exemple, dans l’appartement de Caul, la caméra effectue des mouvements lents et circulaires, mimant ainsi le mouvement d’un objectif rivé à un point fixe. » Par ce procédé, Coppola nous installe comme observateurs privilégiés du sort de Caul. Nous sommes les personnes qui regardons cette caméra de surveillance braquée sur lui. Même dans l’appartement dévasté, l’objectif est toujours là, à le regarder et l’écouter. Le film que nous propose Coppola n’est finalement fait de rien, si ce n’est de l’idée fabriquée que nous avons de la conversation. Nous avons façonné nous même, à travers les yeux de Caul, ce que nous voulions voir et entendre. Nous avons créé la mort du directeur (de Kennedy ?).


Le travelling qui descend vers la place dans la scène d’ouverture résume en fait assez bien le film dans son ensemble. Le mouvement ne vient pas s’arrêter sur Caul mais sur un mime. Un double, une copie qui viendra se placer à côté de Caul pour imiter ses gestes. De la même manière que l’enregistrement n’était qu’une fausse commande destinée à faire réagir la vraie victime.
Tout le film n’est en réalité que fausses pistes et images toutes droit sortie de l’imaginaire paranoïaque d’une Amérique baignée dans l’horreur. Les éléments que nous pensions avérés sont totalement déconstruits par Coppola qui ne laisse plus rien d’autre que le son de la télévision masquant le sang qui se cache derrière.
T-Mac
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le 3 mars 2016

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