Rocky aura attendu trois films pour perdre l'essence de ce qui faisait le sel de ses films (critique sociale, rédemption, film d'auteur travesti en film sportif, etc.), Creed n'aura attendu que son deuxième.
Ici, on ne peut pas reprocher au boxeur de s'être embourgeoisé (Rocky III) : il était déjà l'héritier du champion du monde et, même s'il apprécie de vivre dans des appartements anciens pour nous faire croire qu'il n'est pas le gosse de riche qu'il est, on sent bien qu'il roule sur l'or et que l'oeil du tigre n'est pas un instinct naturel chez Adonis Creed.
Ici, pas d'ascension lente du boxeur vers le titre de champion : on brûle les étapes et on préfère tout de suite passer à la case 'champion devant défendre son titre'. On a immédiatement la sensation d'avoir manqué Creed 1,5.
Ici, point de figure paternelle en devenir. Rocky vend sa philosophie comme il jette le parmesan sur ses pâtes et on s'évertue à nous vendre un Rocky solitaire, délaissé, qui se plaint d'avoir un réverbère qui ne fonctionne pas devant chez lui (sic). C'est avec de gros sabots qu'on nous montre Rocky seul sur la péloche, dans des pièces vides, se voyant reproché et se plaignant d'avoir fait les mauvais choix dans sa vie... mais jamais capable de répondre aux attaques verbales du jeunot alors qu'il doit être celui qui l'éduque. Il ère finalement dans ce film sans qu'on ne comprenne jamais ce qu'il apporte à son poulain... ni à son restaurant pour lequel son temps de présence ne peut justifier un salaire.
Ici, pas de vie amoureuse sentant le parfum de la réalité. On nous vend une romance/soupe digne d'une sitcom des années 80 ou 90, où le personnage de la dulcinée (Bianca) hésite en permanence entre amour et amour-mais-légèrement-moins. Elle ne s'élève jamais au niveau d'Adrian qui avait pour elle de mettre les points sur les i à Rocky ("Tu es déjà battu") et d'ainsi former une véritable équipe avec lui. Ici, on préfère torcher ça à la va-vite en faisant dire aux personnages "on est une équipe" ; seulement, ce n'est pas ce que les images nous montrent. Bianca passe donc de personnage fort, qui gère sa vie dans la musique, à esprit évanescent passant çà et là devant l'objectif sans y apporter une once d'enjeu.
Ici, pas de machine soviétique pour fabriquer un boxeur androïde et obligatoirement détestable. NON ! Ici, on voit l'ascension dans travailleur journalier russe vers les sommets de la boxe mondiale. Il a finalement une bonne tête et une histoire (famille, revanche, déférence, humilité et honneur) qui font que nous aurions très bien pu avoir, non pas un Creed II, mais bien un Drago I, et de bien meilleur calibre.
Voilà. Presque 1h40 de film s'est déroulée. On n'a rien vu (sinon la victoire-défaite de Creed dans le 1er match). Et là, il va falloir redevenir un vrai boxeur pour enfin et définitivement battre le vilain russe... qui n'a de vilain que son imposante musculature et son absence de sourire.
Sans être dénué de charme, le "training montage" de remise en condition de Creed m'a particulièrement frappé (en mal). J'ai eu l'impression que les scénaristes se sont dit "Ah, dans Rocky IV, Balboa part s'entrainer dans la neige ? Eh bin nous on va envoyer Creed... dans le désert !" (tonnerre d'applaudissements dans la salle, tout le monde s'embrasse, on a trouvé le truc pour ne pas être taxés de vilains copieurs)
Cette partie, bien qu'obligatoire et déjà élimée par les 7 opus précédents, n'a en outre pas beaucoup de saveurs : trop courte, échouant à montrer les semaines nécessaires à la remise en condition d'Adonis (on croirait que tout se passe en 3 jours), musique anecdotique, plans tantôt somptueux, tantôt non...
Reste un combat final dont on capte l'intensité de chaque coup porté. On grince des dents et broie notre propre mâchoire sous la pression du prochain coup qu'on va nous-même porter.
Dommage de devoir s'infliger 1h55 de sitcom/Louis la Brocante (le réverbère) pour en arriver là, là où Rocky 4 avait la décence de limiter la préparation à 1h10 (pour 1h31 de film, générique compris).
Les scènes finales démontrent qu'au contraire de Creed, c'est bien le personnage de Drago qui aurait été le plus attirant à dépeindre sur la pellicule. Nous aurions eu là le rise and fall qui manque aux films de boxe, passé leur premier opus.