Dès leur première incursion au cinéma, le duo Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri (scénaristes et protagonistes) a fait fort avec cette excellente adaptation cinématographique de leur pièce du même nom. Et il confirmeront par la suite avec l'adaptation de leur seconde pièce Un air de famille dirigée par Cédric Klapisch, puis lorsqu'Agnès Jaoui passera derrière la caméra avec Le Goût des autres. Avec Cuisine et Dépendances on note déjà un sens certain pour l'écriture des dialogues qui font mouche et un jugement aiguisé sur les peines et frustrations des personnes ordinaires.

Le scénario est simple et peut se résumer en quelques lignes. Nous assistons à un dîner de sept convives dans un appartement parisien. Mais ici, les règles usuelles sont bousculées, puisqu'on n'assiste pas à proprement parler au dîner. En effet, on ne voit que les préparatifs et les "à-côtés" du dîner (dans la cuisine, sur le balcon, les couloirs où on se croise et une chambre) et l'invité principal n'apparaît jamais à l'écran ... et même qu'on ne connaîtra jamais son nom. Et pourtant, c'est lui l'ancien camarade de classe perdu de vue depuis dix ans et devenu célèbre, qui cristallise toute l'attention autour de lui de par sa position sociale et son succès auprès des femmes.

Dans Cuisine et Dépendances on assiste donc en quelque sorte à une pièce de théâtre filmée, où la mise en scène épurée est compensée par des dialogues jubilatoires (incisifs et drôles). C'est autour d'une table et de quelques chaises que nos protagonistes fustigent le conformisme, le culte de l'argent et l'hypocrisie ambiante, avec une truculence toute particulière. On assiste à un véritable règlement de compte général (et théâtral) dans la cuisine en question, une astuce de mise en scène qui permet à chaque personnage de raconter sur les autres et surtout de se raconter eux. La cuisine est le lieux où tout le monde se croise, pour échapper à une soirée "chiante" au possible et pour échanger quelques commentaires sur les convives, entre médisances et autres confessions.

Les masques tombent dans cette comédie humaine brillamment interprétée. Agnès Jaoui est Charlotte l'épouse de l'invité principal, gentiment moralisatrice et frustrée. Jean-Pierre Bacri est Georges ex-amant de Charlotte et misanthrope, qui acquiert là sa réputation de bougon attachant. Zabou Breitman et Sam Karmann forment un couple de bourgeois, elle Martine complètement hystérique en mère de famille dépressive et lui Jacques dépassé par les évènements et sa trop grande gentillesse. Quant à Jean-Pierre Darroussin, le frère encombrant de Martine, c'est un petit looser grisé par une partie de poker. Ils sont tous à différentes échelles des petites personnes, acerbes et surtout très drôles. On rit beaucoup de leurs joutes verbales, déblatérant des vérités qui n'appartiennent qu'à eux-mêmes, s'insultant les uns et les autres à grands coups de flatteries déplacées et de répliques cyniques bien senties. Tous s'en tirent à merveille en conférant d'un seul homme un rythme parfaitement maîtrisé au film.

Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri nous mettent face à nos petites mesquineries et notre fausseté. Les répliques fusent, subtiles, mordantes, parfois émouvantes et profondes, développant cinq personnages forts et nuancés, faisant corps les uns avec les autres. Cette tragi-comédie est d'une truculence savoureuse et voir ce dîner tourner au vinaigre est un pur régal.

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le 6 sept. 2023

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