Habiter à l'étranger ça peut avoir du bon, surtout pour découvrir certains films sur leur terre d'origine six mois avant leur sortie française : ici, Acciaio, adaptation du roman du même nom écrit par Silvia Avallone (paru en Italie en 2010, en France en 2011). Film qui présage de belles choses d'abord par son thème, celui de la jeunesse, ici prisonnière d'une Toscane industrielle au bord de la crise ; ensuite, par ses actrices, jeunes pousses sublimes et un peu paumées qui évoluent sous la caméra d'un réalisateur aimant vraisemblablement piocher aux States (Gus Van Sant y imprime son style) autant qu'en Europe - Céline Sciamma aurait probablement fait usage semblable d'une telle matière première. Le film est centré autour de deux filles d'une quinzaine d'années vivotant leur jeunesse entre des parents absents et un contexte économique délicat, dans un milieu ouvrier où l'essentiel de la population est employé par une aciérie en difficulté. Stefano Mordini raconte cette histoire à peu près comme on pouvait s'imaginer le roman mis en images : un style solaire et brut, collé au plus près de ses héroïnes, déterminées à vivre en dépit d'un quotidien triste et d'une condition sociale qui semble les condamner. Ce qui se passe dans le film n'est objectivement pas joyeux, mais Mordini oppose à la noirceur des événements un style spontané et vif, caméra sur l'épaule, où il ne fait que rarement sortir du cadre Anna et Francesca, presque toujours accompagnées par la lumière où qu'elles aillent, quoi qu'elles fassent. Ce n'est pas spécialement audacieux, c'est même souvent assez attendu, ça sonne un peu comme l'adaptation évidente d'un succès littéraire ; mais ça fonctionne, grâce à une humilité tranquille qui guide le récit là où il doit aller, qui montre ses personnages tels qu'ils s'imaginent, et non tels qu'ils sont, tout en restant fermement ancré dans un style ultra-réaliste.
On est donc quelque part entre la filmo "jeunes" de Gus Van Sant et "Naissance des Pieuvres" de Céline Sciamma, dont l'approche de la sexualité est assez similaire, à la fois langoureuse et inquiétante, quelque part un peu culpabilisante vis-à-vis du spectateur (les filles d'Acciaio sont d'une beauté particulièrement crue et puissante dont Mordini joue assez bien) ; dans ce climat de plage parfois plutôt cool on n'est même pas loin de Larry Clark et de son "Bully", violence physique exceptée. Au croisement d'influences américaines et européennes, Acciaio creuse son sillon avec une efficacité respectable, tellement à vrai dire qu'elle en est parfois anecdotique, qu'on sent poindre derrière ce condensé de spontanéité et de combativité qui anime les héroïnes une artificialité un peu décevante, comme si, à l'image de Van Sant, le réalisateur excluait un peu trop ce qui est extérieur à ses personnages - l'acier du titre, qui fond sous les flammes, n'est présent que via des inserts symboliques. C'est un manque d'amplitude qu'on peut reprocher au film, qui fait confiance à ses interprètes au point de s'autoriser à évacuer ses autres promesses : point de crise ni d'adultes, dont l'absence même est absente, ne se ressent pas, taisant une souffrance dont le traitement aurait pourtant pu élever le récit vers de plus hautes cimes, parmi d'autres pistes possibles. Cette bulle de l'adolescence traitée avec le même laisser-aller occasionnel dans "Paranoid Park", cet ébahissement excessif des cinéastes pour leurs jeunes acteurs rendent parfois l'action prévisible, désincarnée. Le bon côté de la chose reste toutefois que chez Mordini, un peu comme chez Garrone, la recherche de la spontanéité aboutit souvent et qu'on vit le récit comme un souffle, chaud, peut-être un peu trop, mais qui a le mérite de l'harmonie. De cette efficace simplicité, le film tire une beauté finalement comparable à celle de ses personnages, le fait même qu'il hésite un peu à gratter où ça fait mal traduit d'une jolie manière leur constante recherche de bonheur ; en cela il s'insère dans le mouvement, confirme, finalement, son appartenance, cette sensibilité toute italienne de s'accrocher à ses héros au risque d'en épouser l'indicible fadeur. Le cinéaste l'admet d'ailleurs in extremis par un plan final un peu naïf mais mignon, plage ensoleillée commentée par Anna en voix off qui s'étonne que le monde s'arrête à la mort d'un homme : en Toscane comme ailleurs on est jeune et on voudrait le rester. Sans rire ?