Film aussi rare que précieux, sauvé de l'oubli et de la disparition complète un peu miraculeusement, Woman on the Run mérite amplement l’appellation "pépite du film noir". Sorti au début des années 50, à une époque où le genre commence à s'essouffler, cette péloche n'a pas pu compter sur un quelconque nom ronflant à exhiber sur l'affiche afin de se distinguer de la masse. Pas facile d'exister dans ces conditions, on l'imagine fort bien. Pourtant les atouts ne manquent pas, à commencer par la mise en scène qui, faute d'être grandiose et avant-gardiste, se révèle avant tout élégante et efficace, tirant le meilleur d'une histoire relativement convenue.
Connu pour son travail chez Disney (Davy Crockett) et sa série de films avec Peter Lorre, Norman Foster a surtout été le collaborateur de Welles auprès duquel il semble avoir beaucoup appris. Sans égaler son maître en virtuosité, il parvient néanmoins à se réapproprier ses principes de base et applique sa méthode avec une certaine dextérité : on joue autant sur les attentes du spectateur que sur les sentiments des personnages ; le travail sur la profondeur de champ et les angles de vue viennent agréablement nous perturber, l'audace de certains plans apporte de la singularité et du dynamisme, les plans-séquence, sobres et millimétrés, favorisent quant à eux la fluidité du récit. D'ailleurs, la filiation avec The Lady from Shanghai, sorti trois ans auparavant, est évidente : même personnage féminin assez ambivalent, même intérêt pour les tourments intimes, même séquence finale, parfaitement exécutée, dans une fête foraine.
Pour compenser un budget rachitique, Foster mise tout sur l'efficacité. L'intrigue, presque accessoire, est réduite à minima, tout comme le nombre de personnages qui est réduit à quatre, si on ne tient pas compte du clebs : le mari qui voit un crime et qui disparaît presque aussitôt de l'écran, sa femme qui le cherche tout comme un inspecteur de police et un journaliste en manque de scoop. Tout l'intérêt de Woman on the Run réside dans la réponse à cette simple question : qui va le retrouver en premier, celle qui veut l'aimer ou celui qui veut le tuer ?
Ce qui est malin ici, c'est que l'attention se focalise moins sur l'intrigue policière que sur le devenir du couple ! Le faux suspense lié à l'identité du tueur ne sert qu'à mettre en relief l'histoire d'une femme qui redécouvre un mari. Le jeu des indices, qui emprunte habilement la thématique de l'art et de la peinture, permet de retracer l'histoire d'un couple et d'une passion amoureuse. Mais si cette enquête sentimentale donne son originalité et son charme au récit, il ne faut pas croire que l'on quitte les rivages du film noir pour aller vers ceux de la douce romance. Le ton est volontairement cynique et occasionne de savoureuse répartie au sujet de la relation conjugale. Sans oublier que l'atmosphère est délicieusement oppressante avec ce jeu sur les luminosités et cette représentation de la ville, San Francisco, comme antre du crime. Tout cela est assez délectable, surtout que Foster ne s'embarrasse pas de superflu, son histoire tient en moins de 80 minutes, chaque scène à son importance : l'efficacité est garantie.
Film noir plus passionnant qu'haletant, Woman on the Run multiplie les singularités, qui sont autant de raisons de l'aimer : un savoureux mélange des genres, entre enquête policière et romantique, entre ambiance anxiogène et humour à froid, entre meurtre et autopsie conjugale. Sans oublier l'essentiel, à savoir que c'est une femme qui tient la dragée haute aux hommes, Ann Sheridan étant magnifique en beauté froide qui finit par retrouver goût aux sentiments.