Fête du cinéma 2012, acte III : De caricatures et d'archétypes

Jacques Audiard, enfant chéri du cinéma français (Cannes, Césars, Prix Louis-Delluc, Prix Lumières...), nous revient avec un film qui promettait d'être poignant et touchant. Suivant le destin d'Ali, jeune homme esseulé qui ne s'exprime que dans des combats de rue (je ne ferais pas de commentaires sur le choix du prénom Ali pour un tel personnage) et celui de Stéphanie, dresseuse d'orques victime d'un accident qui lui coutera ses deux jambes, Jacques Audiard s'amuse à construire une relation ambigüe entre ces deux handicapés de la vie.

Mais le réalisateur ne cesse de vouloir filmer des plans chocs censés émouvoir le spectateur (citons parmi d'autres celui du corps flottant de Stéphanie dans le parc aquatique après l'accident ou celui du fils d'Ali, piégé sous la glace). On n'oubliera pas d'ailleurs les grossières symboliques de beaucoup de séquences dans ce film : alors qu'en la ramenant chez elle, Ali pose un regard sur les jambes de Stéphanie, quelques minutes plus tard l'orque les lui enlève ; alors que la relation entre Ali et son fils est au plus mal, le père doit briser la glace (littéralement !) pour libérer son enfant du lac gelé... Il faut d'ailleurs souligner l'aboutissement de cette scène : le père, quitte à sacrifier ses mains dont il a besoin pour ses combats, préfère libérer son fils. Les exemples sont multipliables à l'infini.

Ce qui gêne le plus dans la réalisation d'Audiard, pourtant à l'accoutumée très bon, c'est que ce film marque sans doute la première fois où il semble se regarder. Or, un artiste ne doit jamais aimer ce qu'il fait, il doit toujours être un éternel insatisfait pour s'améliorer encore et encore. M. Night Shyamalan en sait quelque chose mais tarde à en prendre conscience.

Mais il y a sans doute plus grave qui touche directement au paradigme d'Audiard. Le cinéaste ne conçoit l'avancée sociale que par la violence (ce qui était déjà le cas dans « Un Prophète » mais qui passait mieux dans un univers carcéral). Même Stéphanie, pourtant rebutée au départ à voir Ali prendre part à un combat de rues, finit par accepter la violence avec un certain plaisir (assise à l'arrière de la voiture à droite, elle prend d'abord la place d'Ali à l'arrière à gauche quand il va combattre puis devient même sa conductrice, et son manager, à l'avant de la voiture lorsque Martial doit partir pour trois mois). Dans cette optique, il faut bien mentionner la terrible scène où après avoir regardé des combats de boxe avec son père sur Youtube, le jeune Sam reçoit aussi la colère de son père en étant frappé sur le bord d'une table.

Pourtant, il ne faudrait pas noircir le tableau et le film a tout de même quelques moments de grâce. La relation entre Ali et Stéphanie, bien que placée sous le signe de la violence pour qu'elle aboutisse, est parfois très bien mise en scène notamment lors des scènes sur la plage où le jeune homme, portant la jeune femme sur son dos, lui redonne goût à la vie en la replongeant dans un milieu familier : l'eau, l'aquarium, la mer, l'océan. Finalement, les séquences les plus belles sont même celles où le contact physique est absent entre les deux : celle où Ali, à l'hôpital auprès de son fils, reçoit un coup de téléphone inattendu de Stéphanie est bouleversante et criante de vérité.

Il faut aussi saluer les performances remarquables de Marion Cotillard (Stéphanie), Matthias Schoenaerts (Ali) et même du jeune Armand Verdure (Sam) même si on aurait aimé que la relation père-fils soit un peu plus fouillée et prenne une plus grande ampleur. Mais c'est le scénario et les obsessions d'Audiard qui sont en cause et non leur prestation.

« De rouille et d'os » promettait d'être un film coup-de-poing or on reste quelque peu sur notre faim, hagard devant la violence gratuite offerte par Jacques Audiard et les trop nombreuses caricatures. Je n'insisterai pas plus sur le cliché de la relation « gros dur qui se prend d'affection pour une jeune handicapée ». Maniéré et pessimiste, le nouveau film de Jacques Audiard est décevant.
potaille
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le 27 juin 2012

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