S’il fallait choisir un film référentiel pour expliquer l’originalité, la créativité mais aussi quelque part l’âpreté du Cinéma belge post « C’est arrivé près de chez nous », je choisirais immanquablement « Dead man talking » de Patrick Ridremont.


En effet à lui seul, ce film concentre tout ce que ce cinéma (côté Wallon principalement) recèle en authenticité, en dérision et humour caustique et en recherche de langages cinématographiques depuis 25 ans. Ce n’est pas une marque de fabrique, un courant voire une nouvelle vague pour autant, chaque réalisateur possédant ses propres codes, univers visuels et modes de fonctionnement. Le reflet « d’un pays particulier qui puise son identité dans une non-identité» comme l’explique Bouli Lanners.


Si l’on se réfère au pitch, un homme condamné à mort obtient de justesse un sursis. L’on s’attend donc à une certaine gravité, à une variation autour du thème, à une ou des prises de conviction… Cela semble se confirmer dès la première scène presque insoutenable par cette foudroyante violence. La pesanteur s’accentue quand nous pénétrons dans la salle d’exécution de cette vieille prison, bien que déjà apparaît une faille par l’étrangeté des lieux (plus proche de « Saw » que de « I want to live » de Robert Wise), du personnel encadrant la mise à mort (un juge irritable, un gardien bourreau anxieux, un vieux prêtre déphasé, une infirmière sourde et muette) et surtout le « billot » en forme de croix chrétienne où le condamné est censé recevoir l’injection létale. Faut-il y voir là une volonté de ne pas cerner un lieu précis ? Quelques indices laissent à penser que nous sommes dans un pays anglo-saxon (uniformes, les ordres viennent d’un gouverneur, plus tard le public mangera des donuts en se délectant du spectacle…). Ou bien alors est-ce une fausse piste, le film se voulant plus universel ne cibler aucune nation en particulier. Une unité de lieu imprécise, tout comme de temps du reste (aucun signe distinctif d’une époque) pour signifier qu’il peut s’agir d’un présent aussi bien que d’un futur.


Toujours est-il que l’on y et s’y croit. William Lamers, le condamné à mort en position, s’exprime comme le permet la procédure. En témoins, le juge Raven pressé d’en finir, le vieux prêtre qui a pourtant vite été expédié dans son office, José le gardien exécuteur et un journaliste qui assiste à la scène dans le caisson réservé au public et… la fille du juge. Et ça dure. Ca dure ! Combien de temps un condamné à mort a-t-il le droit de parler ? Grain de sable dans une machine judiciaire pourtant bien rodée qui va d’un coup s’affoler !


C’est de cette faille juridique que va découler le reste du film qui traitera au final d’une réflexion sur l’humanité bien plus vaste, que la seule peine de mort dont la portée restera en filigrane. A partir du moment où Lamers intervient, ce qui permet de surseoir plusieurs fois l'exécution, les réactions vont s’enchaîner et chaque protagoniste aura une raison bien précise pour que cette situation perdure, ou qu’elle cesse au plus vite.


Au niveau de l’administration pénitentiaire et par extension de l’état, il y a deux tendances. Celle du juge Raven pour qui la mise à mort doit être immédiate, et celle du gouverneur et de son cabinet, qui en attente d’une imminente réélection, se doit non seulement de ne pas perdre la face, et surtout de renverser la tendance du vote, face à un adversaire donné gagnant. Raven représente l’esprit de la loi et se doit de la faire appliquer certes, mais ce qui l’occupe avant tout est le côté inhumain du sursis car de toute façon Lamers sera exécuté. Son personnage si bourru qu’il soit (ah Berléand ! il est extra) est donc placé au rang de la vertu, quand au gouverneur, prêt à tout pour conserver son poste, à celui du vice.


Les médias, et à travers eux le public, sont également visés quant aux comportements critiques. Les journalistes, (« fouille merde » pour le juge) représentés par un individu miteux n’ont de cesse de vouloir mettre de l’huile sur le feu (criminel victimisé, concurrence électorale, critique des institutions…). L’agence de Com est elle aussi visée, en instaurant son plan d’actions, plus la vie de Lamers est prolongée, plus le suspens grandit, séduit un public de plus en plus attentif à l’affaire et vindicatif (écrans géants dans les rues, presse…) au fur et à mesure que l’affaire se prolonge.
Ce sont les deux cibles principales auxquelles Ridremont souhaite s’attaquer, on peut y ajouter la religion. Au travers du personnage du prêtre, on sent bien que conscience et raison sont antinomiques et que quelque part, le dogme se rangera toujours du côté de l’ordre établi.
Il n’y a en fait que le personnage de la fille du juge qui affichera une certaine neutralité. Neutralité de jugement, neutralité de prise de position. C’est en observant la situation qu’elle pourra se faire sa propre conviction sur Lamers. C’est un personnage charnière, peut-être celui d’une évolution des mœurs à l’avenir.


Cette dénonciation très politisée envers le pouvoir politique, médiatique ou même des masses, n’est pas novatrice en soit, bien des films ont déjà traité ce sujet. Mais ce qui est particulièrement captivant dans le film de Patrick Ridremont, est la manière dont il l’exprime. « Dead man talking » s’inscrit comme un cheminement de la pensée et son évolution progressive. On passe de positions fermes aux aléas du doute, pour en revenir après réflexion à une certaine rationalité (émanant principalement de Lamers du reste). Le seul écueil de cette mécanique scénaristique, est la représentation de la peine de mort. Elle n’est pas le sujet du film, pourtant elle pourrait être, de fait, insidieusement cautionnée par la démonstration, pour certains spectateurs. Ce n’est en aucun cas la volonté de Ridremont qui l’utilise comme l’argument extrême, le jusqu’auboutisme du raisonnement (le gouverneur prêt à gracier pour gagner, la foule manipulée qui peu à peu prend cause et partie pour le criminel…).


Outre un scénario des plus malins (les 29 et une nuit…) impeccablement mise en scène, on ne peut qu’être admiratif face à la direction artistique. Les décors d’Alina Santos et les costumes de Magdalena Labuz accentuent la pesanteur et toute absence de localisation. La photo de Danny Elsen, quant à elle joue sur un subtil camaïeu de vert de gris et enveloppe chaque scène d’une ambiance nauséeuse, étouffante. Le montage incisif de Thierry Delvigne ou encore les effets sonores de Nicolas Tran Trong contribuent à marteler la montée en puissance du drame qui se joue.


Si Patrick Ridremont signe un premier film dans lequel il s’est largement investi, il a visé juste également au niveau de son casting. En se donnant le premier rôle, il s’assure la maitrise du jeu de ce personnage ambigu jusqu’à la fin. Berléand comme déjà évoqué est au top dans le rôle de ce juge désabusé et sensible. Virginie Efira en chargée de com assure, mais ce sont deux autres acteurs qui marquent les esprits, Denis Mpunga en bourreau terrorisé mais consciencieux et Christian Marin, dont c’est hélas le dernier rôle, follement drôle et généreux en prêtre fataliste.


« Dead man talking » est un film qui ne peux que diviser, un peu too much pour certains, pas assez pour d’autres et ceux qui comme moi ont pris un plaisir extraordinaire à la vivre. Dans la confusion ambiante qui y règne, il y aura toujours la place pour un spectateur recherchant des sensations d’un cinéma décalé, entre l’ultra et le sur réalisme, qui divertit en même temps qu’il fait réfléchir. Je pense notamment à « Les premiers, les derniers », « Please to kill me », « Où est la main de l’homme sans tête » ou encore « Je me tue à le dire »… Tous des films belges vous avez dit ? Non non… cela tient de la coïncidence… quoique !

Fritz_Langueur
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le 20 nov. 2017

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