Black Faces
Après une bande annonce qui annonçait de la comédie décomplexée, Dear White People tourne en fait vers le genre du jeu avec les images, avec les cliché et les attitudes véhiculées par les médias,...
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le 9 avr. 2015
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Voilà plusieurs années que la Blaxploitation se cherche. Par deux vagues, le cinéma Afro-Américain a régné puis sombré, à chaque fois enseveli par la récupération économique. Avec Dear White People, c’est une certaine idée des questions raciales américaines qui est proposée. Imparfaite, faillible, mais indéniablement coup de poing et filmée aux tripes.
Dear White People n’est pas un concept né de la dernière nuit. Voilà maintenant près de dix ans que son réalisateur et scénariste, Justin Simien, couve son bébé. C’est que, cette histoire, Justin l’a dans la peau. Longtemps balloté entre les grandes maisons de productions, enchaînant différentes casquettes – producteur, scénariste, monteur – pour la Paramount, Focus et Sony, il a eu le temps et l’expérience d’étudier les règles explicites et implicites du métier. D’en cibler les interdits et les conventions. Justin les note précieusement, car il a une idée derrière la tête.
Son idée, elle germe en 2006 lorsqu’il est encore étudiant en Californie. Parmi les rares élèves noirs de son université, Justin note les us et coutumes. Notamment celles des représentations des Noirs par la future élite universitaire, majoritairement… Blanche. S’en suit quelques idées au brouillon, un financement participatif poussé par le buzz et une sortie plébiscité lors des divers festivals. Avec beaucoup de retard, Dear White People arrive en France. L’occasion de découvrir un premier long métrage à l’énergie folle, quoique parfois incontrôlée.
Dear White People. Littéralement, « Chers Blancs ». Rarement un titre de film n’aura été mieux choisi. Il fait écho à la fois à la portée générale de celui-ci, autant q’à l’émission de radio de Samantha White (Tessa Thompson, présente dans le primé Selma) sur le campus de la factice Winchester University. Un cri du cœur contre le racisme ordinaire et toutes ces réflexions intériorisées, banalisées, qui témoignent en réalité de préjugés que beaucoup aiment cacher sous le tapis. Il n’en est rien. Florilège parmi ces petites gemmes : « Le nombre d’amis noirs requis pour ne pas passer pour un raciste est désormais porté à… deux ». Ou encore : « Chanter du Lil Wayne ne fait plus de vous un Noir honoraire ». Zing.
Si le personnage de Samantha endosse le rôle de la militante jusqu’au-boutiste, suivie de près par une clique féroce, la communauté Noire est représentée, au sein de ce microcosme, par une somme d’échantillons représentatifs. On y croise Lionel (Tyler James Williams, Tout le Monde déteste Chris), homosexuel et apprenti journaliste, appui narratif du film et « comic relief » assez plaisant. Troy Fairbanks (Brandon P Bell), le chef de la résidence et fils du doyen de l’université, est lui plus modéré. Partagé entre son désir d’ascension personnelle et des convictions qu’il doit bien souvent maquiller, il incarne toute la problématique entre impératifs socio-familiaux et désirs générationnels. Enfin, Colandrea « Coco » Conners incarne elle la volonté d’intégration absolue, lorsque celle-ci s’apparente presque au sacrifice. Voire à la trahison.
Tout ce beau monde cohabite entre les préjugés des uns et les a priori des autres. Jusqu’à la provocation de trop. Un groupe d’étudiants blancs décide d’organiser une soirée Noire, où la culture afro-américaine est pastichée jusqu’à la nausée. Des événements pas si fictionnels, puisque faisant échos à de réelles fêtes organisées sur les campus US. Chacun des individus réagit suivant sa personnalité, et donne à voir une facette différente, à chaque fois, de la communauté noire. Mais à chaque fois, c’est l’indignation qui prime. Et la découverte pour certains, que le racisme que l’on croyait un peu naïvement enterré depuis l’élection d’Obama, est encore présent dans les veines profondes de l’Amérique.
Dans la technique autant que dans les intentions, difficile de ne pas tirer un trait entre Justin Simien et Spike Lee. Si le premier n’est pas grand admirateur de la comparaison, il souligne que des films comme Do The Right Thing, porte-étendard de la culture noire-américaine dans la fin des années 1990, sont aussi rares qu’inspirants. Mais si Simien doit pointer du doigt des références, elles sont à chercher du côté de Woody Allen et du couple Bergman. Plutôt logique quand on constate le goût de Dear White People pour les plans léchés et la satire de l’élite sociale. Et si les comédies romantiques stéréotypées traditionnellement estampillées « pour Noirs » peuvent en prendre un coup, c’est tant mieux.
Pourtant, difficile d’avoir un avis définitif sur l’objet que nous propose Simien. Dear White People n’offre aucune réponse, aucun constat définitif. Inutile donc d’y chercher une quelconque bible ou un mode d’emploi de la résistance culturelle noire. Pas la peine non plus pour les Blancs de sortir le carnet et de prendre des notes sur les frontières à ne pas dépasser. Justin Simien livre son histoire, empreinte de révolte. Elle tombe juste et à côté en même temps, parce qu’elle mitraille partout à la fois. Quitte à se tromper, quitte à déstabiliser le spectateur, Dear White People s’efforce de ne pas fournir de morale et laisse le spectateur forger la sienne. En cela, et en dépit de ce que voudrait Simien, il y a du Spike Lee dans l’idée. Reste à savoir s’il saura continuer à raconter ses histoires, vivantes et forcément imparfaites, pour le reste de sa carrière sans tomber dans le mercenariat à biopic. On le lui souhaite de tout cœur.
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Créée
le 17 nov. 2015
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