Délits flagrants
7.8
Délits flagrants

Documentaire de Raymond Depardon (1994)

Raymond Depardon a mis des années à obtenir les autorisations pour filmer son documentaire dans la 8ème section du Palais de Justice de Paris.


Finalement, en 1994, il plante sa caméra dans les longs couloirs qui mènent de la Préfecture de police au Palais de Justice de Paris et dans le bureau du substitut du procureur où les personnes prévenues de vol, d'escroquerie ou d'agression sont interrogées, en attendant soit d'être remises en liberté (le plus souvent sous contrôle judiciaire), soit déférées immédiatement devant le parquet.
La suite de la procédure est également évoquée avec des séquences consacrées aux entretiens avec le conseiller à la personne ou l'avocat commis d'office.
Sur 85 personnes ayant acceptées d'être filmées, seules 14 auditions ont été retenues au montage.
On entre alors au cœur de la machine judiciaire à travers ce qu'on appelle la procédure de flagrant délit.


Voleur à la tire, toxicomane, mari brutal, jeune vandale, immigrant clandestin, se succèdent dans les bureaux des trois magistrats qui ont accepté la présence d'une caméra. L'homme de loi pose des questions et tente de comprendre, ou fait comme si ; le prévenu, mal à l'aise, maladroit, essaie d'expliquer son geste ou sa situation. Mais la confrontation - deux langages, deux mondes qu'un océan sépare - tourne la plupart du temps au dialogue de sourds... Les cas sont très divers, autant que les personnalités des prévenus et des substituts. Ces derniers ont un pouvoir d’appréciation très large : ils peuvent soit remettre en liberté, soit différer le jugement, soit déférer immédiatement la personne devant le tribunal. Ils ont donc un pouvoir certain et les prévenus qui ont récidivé le savent bien, d'où un tension palpable dès le début.
Par contre, le spectateur assiste au départ médusé à ces interrogatoires, ne saisissant pas tout de suite, les enjeux, les conditions de ces entretiens. Puis, la lumière se fait peu à peu et on comprend rapidement comment les prévenus sont traités, sans doute différemment selon leur couleur de peau, leur statut social et surtout selon qu'ils sont ou non récidivistes.


Raymond Depardon a choisit de rester silencieux, le plus neutre possible, afin de perturber le moins possible le travail des substituts et avocats et de ne pas gêner les personnes dans l'expression de leur témoignage, souvent difficile. L'équipe, très bien rodée, est réduite au maximum.
Son ingénieure du son, Claudine Nougaret, qui n'est autre que la femme du réalisateur, baisse la tête, ne regarde personne, dans un même souci de discrétion. Seul le perchiste est un peu plus près des témoins. L'importance accordée au son est ici capitale car c'est dans la parole des gens filmés que naît la force de véracité de ce documentaire qui s'inscrit dans la lignée du nouveau cinéma direct américain.


Depardon dit qu'il a été révolté plusieurs fois par certaines décisions prises par le tribunal, car il a eu accès aux jugements. Il déplore notamment que le sans-papier malien soit traité comme un délinquant alors qu'il n'était qu'un sans papier ayant fuit son pays pour vivre en France.
Le réalisateur déclare qu'il a senti tout de suit quand les gens mentaient et et donc a fortiori le substitut ou l’avocat qui sont des professionnels le sentent aussi, ce qui n'est pas bon pour la procédure.


Le cas qui m'a le plus frappé est celui de Murielle, une jeune femme très charismatique, qui est camée, prostituée et séro-positive. Elle a été prise en flagrant délit en train de vouloir voler une voiture. Mais sa défense ne tient pas, elle dit qu'elle ne sait pas conduire et qu’elle a branché les fils dénudés pour ouvrir les portes arrières du véhicule, afin de récupérer son sac qui était à l’arrière. Elle nie donc avoir voulu voler la voiture. Elle maintient sa version devant le substitut, mais devant l’avocat commis d'office, elle finit par reconnaître que ce n'est qu'un mensonge. Il la conseille alors sur ce qu'elle doit dire au tribunal pour éviter la prison. On saura après par Depardon qu'elle a été condamnée à de la prison ferme car c'était une multi-récidiviste. Depardon la retrouvera plus tard et obtiendra de Murielle et des autorités l'autorisation de faire de son histoire un long-métrage qui eut du mal à être diffusé (interdit à ses débuts).


Ce film m'a beaucoup touché d'abord parce que c'est le premier documentaire tourné dans l'enceinte du Palais de Justice de Paris donc il a un intérêt documentaire évident et puis, par ce que c'est Depardon, qui filme comme nul autre ces paroles singulières, ces destins qui se nouent en quelques minutes, ces policiers encadrants les délinquants dans ces couloirs interminables et sombres, ces menottes au poignet détachées, rattachés, ces dossiers où sont consignées toute l’identité, le passé, l'histoire, les paroles, les témoins.


Ce film obtenu en 1995 le César du meilleur film documentaire.

Elsa_la_Cinéphile
9

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Créée

le 12 oct. 2015

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