Les coquillages dans les toilettes, c’est pour bientôt !

En 2032, la violence a été éradiquée jusqu’au jour où un tueur profite d'une visite médicale pour s'évader. Désarmé par cette situation, le seul recours possible est de ranimer son ennemi de toujours : John Spartan, un policier surnommé « Demolition Man ».



Un « fasciste » chez les bisounours



Sur le papier, le présent métrage a toutes les caractéristiques du plaisir coupable. Deux géants des films d’action des années 90 s’affrontent sur l’écran, respectivement le flic dur à cuir (Sylvester Stallone) et son parfait némésis dans le rôle du gangster (Wesley Snipes). Tous deux sont cryogénisés suite aux conséquences épouvantables de leur dernier combat, ils sont réveillés quelques décennies plus tard dans une société docile où la violence a été éradiquée. Ce film est une véritable machine à répliques cultes, Stallone est fidèle à lui-même tel un T-rex au milieu d’un troupeau de chèvres (c’est le cas de le dire), bref on passe évidemment un agréable moment à voir deux dignes représentants de la virilité masculine se mettre sur le tronche en bousillant sans vergogne ce monde en porcelaine. Mais autant le dire franchement, la force du film ne réside évidemment pas dans l’habituel confrontation maintes fois mise en scène entre le flic et le voyou. Ce qui fait en réalité tout l’intérêt du présent métrage est leur nouveau champ de bataille urbain et ce qu’il symbolise d’un point de vue idéologique.


Soit la ville fictive de San Angeles présentée comme une image fidèle du reste du monde en l’an 2032. En apparence tout va pour le mieux : le dernier crime remonte à une vingtaine d’années, la violence n’existe plus, la nourriture est saine, et la société baigne dans une harmonie parfaite. Mais le politiquement correct, tel un bulldozer enrobé de vaseline, a démoli sa population pour la rendre la plus docile et niaise possible à absolument tous les niveaux. Le formatage fut total au point que les citoyens ont consciemment abandonné chaque chose jugée inadéquate par l’emprise d’une idéologie dominante. Alors, quand un psychopathe circule librement dans une société totalement asservie qui ne peut dorénavant plus rien faire contre lui, la traque par la seule personne capable de lui faire obstacle permet de mettre en place un choc explosif entre deux visions du monde bien distinctes.


[Monsieur Patate devient non genré]



Démolir l’homme



Démolition Man dépeint en quelque sorte un futur où le politiquement correct a remporté la victoire, sans doute pour prouver habilement à quel point il s’agit d’un autre extrême au moins aussi mauvais que son opposant direct. Une satire délicieuse qui déploie un regard voyeuriste à l’échelle de toute une population pour y faire la triste liste de ses nombreuses dérives. On les constate déjà dans les plus banales actions de la vie quotidienne : interdiction de boire un café, de manger de la viande, d’avoir des jouets, ou de prononcer un langage inapproprié en public. Les restrictions parviennent même à s’immiscer beaucoup plus loin dans l’intimité des gens jusqu’à éviter les contacts physiques, comme le simple fait de se serrer la main et même d’avoir des relations sexuelles. De manière générale, l’individu d’une telle société est soumis à l’interdiction d’un certain nombre d’actions, non pas parce qu’elles sont mauvaises, mais parce que le couperet du politiquement correct plane constamment au-dessus d’eux. Une emprise évidente que les citoyens parviennent même à pérenniser en rejetant volontairement toute forme de scepticisme à son égard. Un élément pourtant essentiel à la naissance d’un esprit critique aiguisé. La preuve en est, s’il en fallait une, que John Spartan en remettant en cause un mode de vie aussi anti-liberté est rapidement étiqueté par les termes les plus honteux possibles.


Et comme pour affirmer encore davantage qu’une dictature aussi totalitaire motivée par « le bien de tous » est autant néfaste, les dérives de cette société côtoient constamment l’hypocrisie de sa politique. Tel un empire avec des façades un peu trop resplendissantes, les rares personnes qui refusent de vivre dans un monde imposé par d’autres sont chassées hors de la vue des citoyens obéissants. En dessous de ces magasins brillants, de ces belles pelouses, de ces gens qui vont et viennent avec un large sourire, les cafards grouillent. La cité radieuse et verdoyante cache en effet sa misère dans les égouts pour ne pas avoir à affronter la réalité et à réfléchir sérieusement à sa situation pour la remettre en question. Le comble de l’ironie est que, dans une dictature comme celle-ci, on est davantage libre caché en dessous comme un pestiféré qu’en haut comme un citoyen modèle.


[il et elle = ille / ceux et celles = celleux]



L’enfer de la « bien-pensance »



On aime considérer Demolition Man comme un nanar d’anticipation. Il y a quelques années encore on pouvait pourtant prendre le film à la rigolade, comme une sorte d’exagération délibérée à l’instar de trop nombreuses œuvres chimériques qui surfent sur un mal-être d’actualité. Pourtant, il est indubitable que nous sommes au stade final d’une certaine idée de notre monde qui s’apparente de plus en plus à l’univers mielleux mais pourtant terrifiant de Demolition Man. Difficile de donner une définition vraiment exacte de la philosophie qui englobe la bien-pensance ou le politiquement correct. A mon sens, il s’agit d’une vision du monde trop aveugle qui se targue pourtant d’avoir une vue perçante sur un nombre important de problèmes sociaux. Ça insupporte, ça lasse, et ça étouffe, mais surtout ça impose sans accepter le dialogue. En somme, il s’agit de quelques mécanismes opératoires qui amènent à une pensée unique et interdisent de ce fait l’épanouissement des autres opinions. La cible véritable de ce phénomène serait donc la liberté d’expression pour former une bulle idéologique gigantesque entre même adhérents.


Concrètement, il est dommage de faire l’affreux constat que les causes initialement justes et nobles se radicalisent et se ridiculisent au point de devenir très précisément ce qu’elles avaient jurées de combattre au départ. Demolition Man est assurément un film parmi d’autres à recommander aux moralisateurs les plus extrêmes de notre monde actuel : Marlène Schiappa, Yann Barthès, Adèle Haenel, Laetitia Avia, Aïssa Maïga, Nagui Fam, et à Camélia Jordana. Le fait est que chacun de ces instigateurs poussent à un mouvement extrémiste qui pourrait bien amener plus ou moins à une société comme celle de Démolition Man.


[La pénétration n'existe plus, il faut dorénavant parler de circlusion]



Conclusion



Le récit de Demolition Man jongle constamment entre deux facettes bien distinctes. L’une est un face-à-face entre deux étalons mené par les caractéristiques typiques des films d’action des années 90. L’autre en revanche dévoile un propos beaucoup plus subversif, au point de se poser une question simple : au rythme auquel nous allons (c’est-à-dire droit dans le mur) est-ce que Demolition Man annonçait déjà les tares de notre futur monde ? Le réalisateur Marco Brambilla utilise l’humour comme une arme afin de dénoncer une forme de totalitarisme dont l’idéologie dominante a le privilège exclusif de régir toutes les règles et même de contrôler chaque individu. Une telle société tue ainsi le principe du libre arbitre afin que tous nous sortions du même moule.


En tant que nanar d’anticipation, on peut féliciter Démolition Man pour sa modeste contribution à faire prendre conscience de l’évolution malsaine de nos mœurs actuelles.



Soyez heureux !
Soyez enculé !


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le 27 févr. 2021

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Death Watch

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