Où s'arrête la folie ? Où commence le génie ? Que sont la raison, l'intelligence ? Le dernier film de Julie Bertuccelli nous confronte cruellement à ce questionnement et l'on quitte la salle plus titubant sous le faix d'un amoncellement d'incertitudes que froidement informé sur certaines particularités du fonctionnement psychique.


Déstabilisation que l'on accepte d'autant plus volontiers que l'on vient d'avoir sous les yeux différents personnages - essentiellement deux femmes et deux hommes - qui ont consenti sans ciller à s'approcher au plus près de ce mystère du handicap, mystère encore épaissi lorsque cette altérité, souvent perçue comme une altération, se trouve associée à une forme de créativité géniale.


On découvre ainsi Hélène, Babouillec Sp (venu alléger le "autiste Sans Parole") de son nom de plume, démarche hésitante, ceinturée d'une énorme bouée noire qui semble devoir la protéger des chocs éventuels avec le monde extérieur et qu'elle passe volontiers au cou des êtres qu'elle apprécie. Le film, dont le montage suit une progression chronologique, nous la présente d'emblée, non en tant que malade, mais en tant qu'auteure, assistant aux répétitions théâtrales mettant en scène ses propres textes. Textes poétiques infiniment puissants, rappelant la créativité explosive de la beat generation, lus et mis en espace par Pierre Meunier. Visage massif, percé de deux yeux extraordinairement mobiles, l'auteure fait entendre gloussements, petits cris ou rire frénétique, selon le degré de son contentement.


Sa mère, Véronique Truffert, très présente, puisqu'elle a renoncé à tout exercice professionnel pour se trouver en mesure de retirer sa fille de l'institution où elle végétait et d'en assumer la charge, retrace le chemin qui l'a amenée à découvrir, au moyen d'un casier empli de lettres découpées, l'insoupçonnable capacité de sa fille à s'exprimer par écrit, alors qu'elle est en apparence murée dans le silence des mots.


Surviennent ainsi un échange à haute teneur spéculative avec un mathématicien brillant, puis différents dialogues avec la réalisatrice elle-même, tous confondants de pertinence et de sens de l'à propos ; proférant des réponses volontiers traversées d'un humour qui fait front, Hélène rétorque ainsi, lorsque Julie Bertuccelli souhaite s'assurer que la caméra ne l'importune pas : "La caméra me sourit avec son œil goguenard"...


On sait que plusieurs livres sont d'ores et déjà édités, qu'il est possible de se les procurer, et l'on émerge du film habité par la seule hâte d'explorer plus avant cette incroyable auteure, qui se révèle capable de rédiger des sortes d'aphorismes d'une profondeur existentielle inouïe, d'une densité si imprévisible que l'on voudrait tous les retenir, alors que leur liberté est telle qu'ils se dégagent et s'échappent, à l'image de cette jeune femme, dont le mystère se fait encore plus insondable, à partir du moment où l'on consent à se pencher sur lui.

AnneSchneider
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le 9 nov. 2016

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Anne Schneider

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