"Dersou Ouzala" est un film de Kurosawa que j'ai vu à sa sortie en 1975. Il fait partie de ces films magiques qui m'ont tellement scotché que j'ai éprouvé le besoin de les revoir dans les jours qui ont suivi . Puis, je n'ai jamais eu l'occasion de le revoir et je ne parvenais pas à le trouver en DVD avec une VF. Puis ô miracle, les distributeurs se sont décidés à le sortir en VF dans une superbe version !
Je viens donc de le revoir plus de 45 ans après et le plaisir est intact !
"Dersou Ouzala" est une splendide histoire d'amitié entre deux hommes qu'en principe tout sépare. L'un, Arseniev, est un militaire russe qui fait de l'exploration et de la topographie dans les terres encore inconnues de la région frontalière de l'Ossouri dans les années 1900-1910.
L'autre, Dersou Ouzala, est un chasseur de zibelines, mongol, solitaire dans la taïga. Les deux se rencontrent par hasard et Dersou Ouzala devient le guide de l'expédition. Nait alors une grande amitié faite d'un grand respect mutuel. Ce respect est fondamental car chacun des deux personnages ne concède rien ou très peu à l'autre. Dans la première partie, c'est Dersou Ouzala qui prend naturellement le lead car c'est lui qui sait. Dans la deuxième partie qui voit le déclin physique de Dersou, c'est Arseniev qui prend le lead sans jamais rien remettre en cause de la personnalité de Dersou.
Dersou Ouzala est une splendide histoire d'amitié, disais-je, mais c'est une belle leçon d'humanisme où on voit, par exemple, Dersou Ouzala ne jamais oublier l'inconnu qui peut passer après lui et profiter du refuge qu'il a construit ou consolidé. Il va jusqu'à se soucier de la boite d'allumettes qui peut sauver la mise à cet inconnu. Il engueule un soldat de l'expédition qui jette un restant de nourriture au feu car ceci aurait sûrement pu nourrir quelque bête de la taïga ...
Dersou Ouzala est une splendide histoire d'amitié et une belle leçon d'humanisme mais c'est aussi un exemple d'humilité de l'homme face à une nature grandiose et implacable. L'officier-topographe, intellectuel, peut-être noble, reconnait implicitement son ignorance de la vie dans les bois et dans ces régions froides. Il a beaucoup à apprendre de cet être étrange qui vit en communion étroite avec la nature. L'humilité se voit aussi chez Dersou dans le rapport de force qu'il vit face à la nature. Quand toutes ses capacités physiques sont intactes, tout va bien mais dès lors que sa vue baisse, le rapport de force s'inverse au point que Dersou se met à craindre cette nature capable de le dévorer.
Du côté de la mise en scène, Kurosawa nous livre un film absolument fascinant avec des images de la Taïga russe impressionnantes. Une des scènes les plus réussies est indéniablement la scène où Dersou Ouzala devine la venue du blizzard et où il oblige Arseniev à couper en vitesse des herbes. D'abord, le spectateur est comme Arseniev, il ne comprend rien à ce qu'il se passe et ce que veut au juste Dersou Ouzala ; du coup nait un suspense qui ne s'achève que le lendemain lorsque la tempête s'est calmée et qu'on comprend toute l'astuce de Dersou.
Je me suis toujours interrogé par quelle alchimie de circonstances un réalisateur japonais a réussi en pleine URSS à faire rejaillir cette histoire qui se déroule pendant la Russie Tsariste. Comment et par quel hasard Kurosawa a pu mettre la main sur un acteur aussi bluffant que Maksim Mounzuk qui crève littéralement l'écran avec son air cash, rusé et bourré d'empathie.
Peu importe finalement que ça corresponde à une période creuse de la carrière de Kurosawa, le résultat est un chef d'œuvre cinématographique qui me parait incontestable et impérissable.
Film fascinant et passionnant