L’auteur de La Route persévère dans son exploration des obsessions et des formations réactionnelles de la société américaine, avec un brio et un talent pour s’inscrire dans certains sillages, tout en imposant un ton, un rythme et surtout une écriture foncièrement originales. Il parvient à tisser une épopée à la croisée des genres et affirme ainsi son talent à nuancer tout en l’infiltrant et l’honorant un certain cinéma traditionaliste. Jamais le film n’étonne sur le fond ni sur la forme, mais il parvient à faire passer par tous les états : l’exploiteur aux manettes a du génie.

La déférence est radicale (la BO country ne recule pas devant l’excès d’emphase) ; autant que la réappropriation est intense et ravageuse. C’est un film d’atmosphère et de tripes (bien que le cahier des charges réclame plus de violence que de psychologie radicale). L’écriture est impeccable (sans génie mais irréprochable), les personnages profonds, les acteurs intenses et subtils.

Ancré dans l’ère de la prohibition, Lawless est à la fois western, film de gangster et saga familiale digérée en accéléré. Les personnages eux-mêmes sont partagés entre plusieurs mondes, celui de la mafia et de l’Ouest sauvage, tout en flirtant à proximité de castes alternatives (mormons et nouveaux-riches). Au-delà de son efficacité formelle, l’œuvre repose sur une poignée de personnages échappés du répertoire classique et transformés par l’imaginaire de John Hillcoat. Naturellement on retiendra Tom Hardy en manager taiseux, magnétique et puissant, au sadisme certain malgré une dose d’affectivité presque infantile. En même temps qu’il tombe en amour, l’invincible laisse progressivement filtrer sa personnalité. Une autre figure retient l’attention, c’est ce méchant excentrique et à la voix éraillée, efféminé et cruel, raffiné et psychotique ; bref, Guy Pearce, envoyé en mission afin de toucher sa commission, est le méchant parfait.

Des hommes de loi est donc un film attachant, au classicisme revendiqué et brillamment subtilisé, à l’effet viscéral et aux allures matricielles. En même temps, si virtuose soit-il, le film est aussi circonscrit par ce classicisme et l’utilisation de Shia LaBeaouf affadi considérablement le rythme et l’intensité, son portrait étant justement repompé dans l’imagerie du genre sans que l’auteur ne lui accorde un supplément d’âme ; un peu comme s’il lui faisait porter la caution "blockbuster" et le label "familial" dans ce qu’ils ont de plus embarrassant. Les principales critiques se concentreront, à raison (mais avec le tort de négliger un spectacle si accompli et nuancé), sur cette allure globalement conformiste compte tenu des faits d’armes de Hillcoat.

http://zogarok.wordpress.com/2013/04/25/des-hommes-sans-loi-lawless/
http://zogarok.wordpress.com/2013/01/02/bilan-annee-2012-cinema/

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le 7 janv. 2015

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Zogarok

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