Encore un film qui souffre de sa bande-annonce. J'essaie de ne pas regarder les bandes-annonces, ce n'est pas toujours facile. Problème ici : le sujet annoncé arrive au bout d'une heure de film. Essayons tout-de-même de faire abstraction.
Désobéissance démarre par une réflexion d'un rabbin très respecté qui rappelle que l'humain est entre la pureté des anges et l'animalité ; et que malgré tout il faut s'y faire, cette créature imparfaite est douée de libre arbitre. Cette réflexion intéressante nous guide assez clairement dans les tourments des personnages principaux, tiraillés par des désirs sexuels en contradiction avec l'orthodoxie d'une communauté juive traditionaliste. Dommage que cette réflexion introductive soit aussi la conclusion du film.
La lenteur du récit, la grisaille permanente de la lumière ne seraient appréciables si cette histoire menait quelque part. L'aspect très déjà vu du propos (le désir homo-sexuel face à la bien-pensance communautaire) fait contraste avec un savoir-faire certain dans la mise-en-scène (filmer les émotions, les états d'âme en se mettant au plus prêt des visages) et nous laisse donc attendre quelque chose, une proposition de solution, une complexité à ajouter à la question. Or, le film s'en tient au programme annoncé dès le départ. Qu'il est dur d'être homosexuelle chez les conservateurs. Sans la bande-annonce qui annonce le lesbianisme, peut-être que les tensions auraient pris un tour plus mystérieux et la relation des deux femmes serait apparue comme une révélation. Impossible de le dire. Impossible de dire si la révélation aurait été appréciée ou non.
Si la communauté prend une grande place dans les contraintes de ces deux femmes à vivre leurs désirs, c'est bien le désir sexuel qui intéresse le réalisateur. Aussi, ne connaissant pas tous les codes sociaux de cette communauté juive de Londres, je me suis posé beaucoup de questions sur ce que je voyais, alors même que c'était ce qui me semblait intéressant. Pour saisir les tourments de ces femmes opposées, l'une fugueuse de sa communauté et l'autre sacrifiant son orientation sexuelle pour sa communauté, il me semble essentiel de nous immerger dans ce mode de vie. Or, le mode de vie est là, il est présent, il est montré, mais jamais expliqué. Ainsi, les bougies, le Shabbat, les chants, les perruques, il faut se contenter de les voir et de les comprendre par nous-mêmes, comme si ces traditions étaient connues de tous. Et quand arrive la scène de sexe, je n'ai pu m'empêcher de voir le réalisateur jubiler, la longueur injustifiée de cette scène tend à prouver qu'elle est le but du film, son point culminant. Filmer la sensualité est une prouesse de cinéma à saluer ici, encore faut-il que ça ait un intérêt dans le sujet. Ici, le sujet est sous-traité par un réalisateur, un peu pervers je trouve, qui trépigne de filmer deux belles actrices faire touche-pissou et crachi-cracha. Avec en bouclier cet argument de l'esthétique actuelle, qui dirait que les corps et le sexe c'est beau, que ça se passe de démarche intellectuelle, que filmer les corps, ça fait sujet en soi.
Le film est adapté du roman du même nom écrit par Naomi Alderman (dont j'ai beaucoup apprécié le livre Le Pouvoir) et dans ce roman, le point de vue de la jeune femme ayant quitté sa communauté sert de regard extérieur sur cette communauté et ses codes. Dans l'écriture, il y a une volonté de nous expliquer tous les gestes du quotidien conditionnés par ces codes. C'est donc tout un pan de cette histoire qui a été mis de côté, le point de vue. Car le roman est à la première personne, ce que n'est pas le film, qui a trois points de vue dont aucun n'est clair. C'est un axe de narration qui, soit nous exige la connaissance de cette culture, soit nous néglige dans notre méconnaissance, mais j'ai eu l'impression de ne pas être considéré à ma place devant ce film. Ce qui m'attirait dans toute les scènes n'est jamais venu s'exposer à moi. Quel est cet objet ? Ce rituel ? Ces couleurs de vêtements ont-elles une signification ? Je devais me débrouiller tout seul. C'est une petite gène de pas grand-chose, mais après réflexion, ça doit beaucoup à mon ennui.
Parce que c'est le principal problème, l'ennui. On a bien vite compris la lourdeur qui pèse sur cette famille/communauté à propos de cette jeune femme. Et ça pèse sur la jeune femme. Et le film rumine cette mélancolie sans jamais la renouveler. On en apprend les raisons au compte-goutte et dans quelques rares moments de liberté retrouvée, la mélancolie disparaît et s'illumine. Mais c'est un contenu bien trop léger à mon goût pour nous y laisser mariner pendant 1h50. C'est très dommage parce que ça fonctionne. La mélancolie, le doute, la nostalgie, la culpabilité, tout passe sans excès de mots et sans trop d'évidence. Il y a quelques réels moments de cinéma, comme ce Shabbat très tendu qui caresse des cicatrices encore à vif malgré le temps passé. On prend le temps. Mais on traîne en plus de tourner en rond.
La réflexion du film tourne autour de la difficulté du libre-arbitre et on termine sur un choix que je n'ai pas compris. Si quelqu'un peut m'éclairer ceci, n'hésitez pas à commenter.
Pequignon
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le 3 juil. 2018

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