A travers « Detachment », Tony Kaye, après son célèbre (et réussi) « American History X », continue de s’attacher à des sujets difficiles qui pourraient expliquer les grands maux de notre société contemporaine, dans laquelle subsiste peu d’espoirs. On y retrouve, un peu plus jeunes, les gamins du film de 1999, sans repères et auxquels il est difficile d’en donner. En prof humaniste, Adrien Brody s’en sort plus que convenablement. Le rôle semble taillé pour lui, et si l’on peut regretter un choix d’acteur presque trop évident, cela permet au moins de limiter les dégâts. Entre regard vide ou vaguement larmoyant (et parfois attendri), moues pessimistes, la colère le fait sortir de ce train-train mais sans bouleverser le spectateur. Les autres personnages semblent justement interprétés, mais ne parviennent pas non plus à se détacher du ton général du film, trop larmoyant pour être parfaitement honnête, ce qui limite leur champ d’action, ne proposant rien qui se démarque vraiment, tout est trop attendu.
Sur le plan formel, et malgré quelques jolies séquences, le principal problème est que Kaye ne semble plus savoir sur quel pied danser pour aborder son sujet. Entre le docudrama, les témoignages face caméra de Brody, des passages qui assument plus leur aspect fictif, on se perd et le manque de cohérence formel impacte sur le manque de nuances sur le fond. « Detachment » montre bien à quel point cette forme peut – ou non – servir un fond maîtrisé, lui donner du corps et de la profondeur. L’idée de mélanger les genres, entre réalisation intimiste, plans plus courts, ralentis, utilisation de la musique n’est pas mauvaise en soi, mais ici le patchwork ne fonctionne pas. La volonté de vouloir tomber dans une forme de réalisme ne colle pas aux choix de réalisation. On s’enfonce dans les clichés, tout y passe, on trouve tous les types d’élèves possibles dans un quartier difficile réunis à travers quelques acteurs, sans oublier la fugitive romance qui devrait permettre de redonner de la force et de l’espoir mais est finalement gadget et illusoire, sans oublier non plus que la vie d’Henry Barthes est difficile hors de l’école, et s’il parvient à gérer une classe difficile, sa propre existence hors du champ professionnel lui semble brisée.
On tombe un peu facilement dans une forme de misérabilisme et de pessimisme à l’excès, sans moment de grâce pour relever réellement le ton. Il ne s’agit bien sûr pas de tomber dans l’excès inverse d’un optimisme hors de toute réalité, mais « Detachment » force le pathos. Trop volontariste, il force le spectateur à le suivre dans son analyse bien sombre du monde de l’éducation en quartiers difficiles, où certes Barthes (en tant que professeur) constitue une forme de lumière que regrettent les élèves malgré les scènes du début, mais où un professeur (et donc l’éducation ?) n’est que de passage et ne suffit pas à changer les choses en profondeur (cf. le suicide de Meredith).
Si la volonté de dépeindre un certain monde d’oublier est louable et que le film comporte quelques réelles forces, Tony Kaye aurait sans doute du préciser son propos et faire des choix formes plus clairs, plus cohérents afin de nuancer son approche et de conférer à l’ensemble une réelle force qui la sortirait d’une vision qui semble un peu simpliste.