Pierre Schœndœrffer réalisait en 1992 ce qui reste comme un exemple de cinéma-vérité à la limite du documentaire, Diên Biên Phu. Avec un souci de réalisme étonnant, le metteur en scène nous raconte l'histoire de cette bataille sanglante qui a marqué un tournant dans la guerre d'indépendance de l'Indochine en 1954. Le cinéaste a lui-même participé à cette bataille en tant que cameraman pour le Service Cinématographique de l'armée, il sera fait prisonnier par le Việt Minh et libéré en mai 1954. Cette expérience restera ancrée au plus profond de lui-même et on le ressent dans ce film, au réalisme brut et viscéral.

Mars 1954. Un grand reporter américain, Howard Simpson (Donald Pleasence) est envoyé à Hanoï pour couvrir la guerre entre la France et les indépendantistes de la colonie française d'Indochine. Authenticité, tel est le premier mot qui vient à l'esprit pour décrire le film de Pierre Schœndœrffer. Décors, costumes, reconstitutions historiques des batailles, tout est réglé au millimètre et respire la véracité historique vécue les soldats français, enlisés dans ce conflit colonial. Le cinéaste choisit de ne pas sombrer dans le sanglant et la violence à outrance mais narre avec une dignité exemplaire le courage de ces hommes qui se sont lancés dans une bataille perdue d'avance. On ressent l'angoisse des combattants, tapis dans les tranchées, guettant un ennemi invisible dans la boue, la crasse, au rythme des explosions d'obus et des balles qui sifflent. Sans manichéisme, le réalisateur montre l'horreur et l'absurdité de la guerre à sa façon, c'est à dire au plus près des corps, dans la simplicité et dans un souci d'authenticité flagrant.


Schœndœrffer alterne intelligemment entre les scènes à Hanoi avec le reporter qui s'efforce de trouver son scoop et les scènes de la bataille de Diên Biên Phu. Grâce à ce pertinent parti pris de montage, on s'aperçoit que la guerre se situait à tous les niveaux et que la relative tranquillité régnante à Hanoi n'était que poudre aux yeux au regard de ce qui se jouait sur les collines de Diên Biên Phu. Un pan de l'histoire coloniale française était en train de s'écrire en lettres de sang et comme le souligne Pierre Schoendoerffer lui-même en voix-off, ce film est fait dans un but réconcialateur avant tout. Il est nécessaire de perpétuer un devoir de mémoire mais dans le but d'avancer ensemble sans systématiquement demander réparation, se rejeter la faute et vivre dans le passé. En ce sens, le film remplit son contrat à merveille et relate avec réalisme et sans ostentation aucune ce fait historique plutôt méconnu et tombé aux oubliettes de l'historie jusqu'à ce que le cinéaste décide de s'en emparer.

L'interprétation du film est à souligner, Donald Pleasence en tête. L'acteur britannique qu'on a adoré détester en ennemi redoutable de James Bond dans On ne vit que deux fois excelle dans le rôle de ce journaliste chevronné en quête de vérité. Celui-ci se heurtera à la réalité du conflit armé et aux états d'âmes de ces militaires, emplis de patriotisme et de bravoure mais qui se rendront vite compte qu'ils ne seront livrés qu'à eux-mêmes dans ce dernier combat que l'armée Viêt-Min était sur le point de remporter afin de conquérir son indépendance. Le tout mis en exergue par des dialogues troublants de sincérité comme ce militaire qui lance au journaliste : ""Monsieur Simpson, dites la vérité, seulement la vérité. On dit trop de mensonges sur notre guerre et sur nous." Le lieutenant d'artillerie joué par un Maxime Leroux, brillant et habité, n'est pas en reste avec notamment un dialogue insolite sur la gravité et la pesanteur en plein bombardement sur une des collines de Diên Biên Phu : "Une seule et même loi régit la course de l'obus et celle de la terre autour du soleil, c'est bon à savoir quand même, c'est réconfortant. Tu vois fiston, c'est pas par hasard que ça nous dégringole dessus, c'est la loi." A noter la présence de Ludmila Mikaël dans le rôle d'une violoniste du Conservatoire de Paris en tournée et qui apporte une touche de mélancolie dramatique au film rythmé par la sublime musique du compositeur Georges Delerue.
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le 11 nov. 2012

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Vincent Formica

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