Oser lutter contre l'inacceptable

A 3 heures de route de la capitale (Addis Abeba), en 1996, Hirut une jeune fille de 14 ans (la mignonne et touchante Tizita Hagere), est enlevée et violée par un homme qui, la trouvant à son goût, veut l’épouser. L’enlèvement d’une femme par son futur époux est, semble-t-il, une tradition en Éthiopie. On peut néanmoins espérer que le viol ne fasse pas partie de cette tradition, au moins pour ce qui est communément reconnu et pratiqué. Toujours est-il que dans ce cas, la jeune fille ensuite séquestrée parvient à s’échapper avec un fusil. Poursuivie par son violeur et ses amis, elle est traquée et acculée. Prise de court, elle tire sur son bourreau et le tue. Arrêtée, la jeune fille risque gros. Son cas ayant été porté à la connaissance de Meaza (Meron Getnet), une avocate combattant pour les droits des femmes au sein d’une association (soutenue par le gouvernement), Hirut est défendue non sans mal. Bien entendu, de fortes réticences s’exercent, appuyées par la tendance traditionaliste. Pourtant, le film se conclue sur un panneau expliquant que cette histoire est à l’origine de l’évolution du droit en Éthiopie. Depuis 2004, dans ce pays aussi, l’enlèvement est considéré comme un délit passible des tribunaux.


Difret est signé Zeresenay Berhane Mehari, un Éthiopien dont c’est la première réalisation. Après des études de cinéma aux Etats-Unis, il a souhaité tourner dans son pays, avec des interprètes s’exprimant en amharique, la langue du cru. Le scénario s’inspire d’une histoire vraie, avec quelques changements dans les noms. Le film est annoncé comme étant produit par Angelina Jolie. Renseignements pris, il semblerait que l’actrice américaine ait été contactée une fois le tournage terminé. Elle aurait visionné le film et l’aurait apprécié. Elle est citée dans le générique de fin comme productrice associée. La surprise, c’est qu’en cherchant à en savoir plus, je suis tombé sur une information (datée du 28 avril 2015), disant qu’Aberash Bekele, la personne ayant inspiré le personnage d’Hirut, aurait protesté contre Angelina Jolie, se disant dépossédée de son histoire sans la moindre autorisation. Aberash Bekele considérerait que le film la fragilise et ferait de l’argent sur son dos, alors même que sa situation financière serait catastrophique. Dans un premier temps, Aberash Bekele aurait reçu un dédommagement d’Angelina Jolie et la garantie que le film ne serait pas diffusé en Éthiopie. Ce dernier point a semble-t-il été remis en cause. Beaucoup de conditionnels, car les sources d’informations sont trop rares et difficilement vérifiables. Le simple fait qu’on ait pu envisager de ne pas diffuser le film en Éthiopie est révélateur. Si les lois ont évolué, près de 20 ans après les faits elles ne mettent pas à l’abri de mentalités transmises de génération en génération. Tout cela pour dire qu’on ne peut pas se contenter de l’état d’esprit irréprochable de l’argument principal de Difret.


Le film se regarde, le réalisateur sachant le rendre captivant. L’Éthiopie est montrée de façon crédible, dans sa diversité de paysages et de comportements. Ceci dit, la réalité éthiopienne de l’époque est forcément décrite de façon sommaire, du moins de façon directe. A l’époque, le pays tentait de se relever et d’accéder à la démocratie après plusieurs décennies marquées par des sécheresses, une guerre (contre l’Érythrée), une dictature marxiste-léniniste (Mengitsu) et le long règne du Négus Haïlé Sélassié. Il faudrait 10 heures et non 1h39 pour faire le tour de tout cela. Par contre, les mentalités sont plutôt bien évoquées, avec notamment ces comportements traditionnels ayant mené à l’agression d’Hirut. On observe aussi un conseil des habitants du village de la jeune fille sous un arbre. Le conflit entre traditions et volonté progressiste prend à cette occasion toute sa dimension. Chacun comprend le choc subi par Hirut mais le poids des traditions reste très fort. La décision vis-à-vis d’Hirut n’est pas vraiment à son avantage.


Parmi les détails qui laissent perplexe : Meaza subit de fortes pressions pour abandonner son action mais on ne saura jamais d’où elles viennent exactement. Et puis, Meaza et Hirut subissent un feu nourri lors d’une poursuite en voiture. Comment échappent-elles à la fusillade ? Mystère, une ellipse permet d’enchainer sans explication. Aucune explication non plus pour le titre. D’après mes investigations, Difret est un mot amharique qui indique à la fois la notion de courage et « le fait d’avoir été violée ». Enfin, ce qui va amener l’appareil judiciaire à prendre les décisions qui feront ensuite évoluer la législation apparaît comme un heureux retournement de situation. Il aurait été judicieux de montrer un peu plus en détail cette bataille juridique, même si cela aurait sans doute encore tiré le film vers une ambiance à l’américaine. Le réalisateur a pu estimer que son influence américaine est déjà bien assez visible comme cela. Tout cela pour dire que si le film ne révolutionnera pas la planète cinéma, il mérite d’être vu et commenté et non d’être ignoré.

Electron
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le 20 juil. 2015

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