Considérons maintenant le curieux personnage du Dr King Schultz. C'est un dentiste itinérant qui travaille à partir de son petit chariot, parcourant les routes secondaires du Sud d'avant la guerre civile. Au début du film "Django Unchained" de Quentin Tarantino, on voit une file d'esclaves enchaînés traversant ce que je dois décrire comme une forêt profonde et sombre, car c'est le genre de forêts que l'on rencontre dans les contes de fées. De cette profondeur et de cette obscurité, Schultz (Christoph Waltz) apparaît, sa lanterne se balançant sur son chariot, dont le toit est orné d'une dent flottante.


Schultz s'explique avec le formalisme élaboré qu'il utilisera tout au long du film. Il a des raisons de croire que l'un des esclaves pourrait l'intéresser. Il s'agit de l'esclave nommé Django (Jamie Foxx). Il entame des négociations pour acheter Django, dont il a des raisons de penser qu'il pourrait l'aider à retrouver les frères Brittle, pour des raisons impliquant la défunte épouse du docteur.


Et déjà Tarantino nous tient, et c'est parti pour la course. Le film offre une séquence sensationnelle après l'autre, tout autour de ces deux personnages intrigants qui semblent opposés mais partagent des enjeux pragmatiques, financiers et personnels. On ne regarde jamais en arrière. C'est peut-être aussi bien ainsi.


Mais maintenant je dois vous demander, avant que l'intrigue ne s'emballe : Ne trouvez-vous pas étrange que le Dr King Schultz, dans toute l'immensité du Sud, ait conduit son chariot à travers cette forêt profonde et sombre où Django était conduit ? Comment aurait-il pu le savoir ? Comment se fait-il que le chemin du chariot et celui des esclaves, qui auraient dû se croiser comme deux bateaux dans la nuit, se rencontrent ?


Laissons le Dr Schultz se livrer à l'une de ses nombreuses transactions financières au cours du film, alimentée par une généreuse réserve d'argent liquide. Expliquons-le. C'est un magicien sorti d'un conte de fées, un homme capable de connaître la vie des gens, d'orienter leur destin, de les séduire dans des situations où ils reçoivent la destinée qu'ils méritent. Bien qu'il y ait une grande part de réalisme dans "Django Unchained", y compris une violence brutale, King Schultz n'est pas réel de la même manière que les autres.


J'ai besoin du terme "deus ex machina". Je m'excuse auprès de mes lecteurs qui le connaissent déjà. Un "deus", pour ceux qui ne le connaissent pas, est une personne ou un dispositif dans une histoire qui apparaît de nulle part et qui a une solution à offrir. Imaginez Tarantino, les pieds sur des nuages, faisant descendre le Dr Schultz dans "Django Unchained" et l'utilisant comme un dispositif merveilleusement utile pour guider l'intrigue là où elle doit aller.


Dans le film, on découvrira que le Dr Schultz, que l'on ne voit jamais arracher aucune dent, est un chasseur de primes, à la recherche d'hommes recherchés, "morts ou vifs". Voici une intrigue qui nécessite beaucoup d'informations, et qui n'a pas de temps à perdre pour les introduire ou les rechercher. Schulz sait non seulement qui est Django et où il se trouve, mais il sait aussi où se trouvent certains hommes recherchés, vivant sous des pseudonymes. Il tire sur un shérif et explique calmement pourquoi. Il sort les avis de recherche de son portefeuille sans fond. Ses connaissances permettent à Tarantino de mettre en place des scènes parfaitement divertissantes dans lesquelles il apparaît que Schultz se creuse des trous et s'en échappe.


Il devient également l'ami et le partenaire de Django, lui rend sa liberté et, après un hiver passé à utiliser Django comme partenaire pour la chasse à la prime, s'associe à lui pour tenter de récupérer Broomhilda (Kerry Washington), la femme de Django. Pourquoi fait-il ca ? Parce qu'il aime Django et déteste l'esclavage. C'est une commodité qui facilite la narration de l'histoire de QT.


C'est un divertissement brillant, dans lequel Tarantino aborde le sujet de l'esclavage comme il l'avait fait pour l'Holocauste dans son film précédent, "Inglourious Basterds". Dans ce film également, Christoph Waltz jouait le rôle principal et utilisait son accent allemand pour se sortir des situations. Tarantino aime les dialogues et les laisse courir à une longueur inhabituelle pour le genre de la quasi-exploitation. Considérez l'audace de QT qui a permis à "Basterds" de s'ouvrir avec autant de verbiage. Tarantino nous raconte que son premier emploi était dans un vidéoclub, où, si l'on peut en croire, il a visionné pratiquement toutes les vidéos. Il a quitté cet emploi en 1989. S'il y a une chose qu'il n'a pas apprise de ces classiques de l'exploitation, c'est l'art des dialogues épars. On peut presque imaginer son plaisir à raconter les histoires de ses films préférés avec plus de détails qu'ils n'en utilisent.


Parce que "Django" est tellement rempli de violence et de comportements transgressifs, QT a dit un jour quelque chose qui vaut la peine d'être retenu quand on parle de "Django" : "Quand j'écris un film, j'entends les rires. Les gens parlent de la violence. Mais qu'en est-il de la comédie ? 'Pulp Fiction' a un esprit si évidemment comique, même avec toutes les choses bizarres qui se passent. Pour moi, la chose la plus torturante au monde, et ca vaut autant pour "Reservoir Dogs" que pour "Pulp", est de le regarder avec un public qui ne sait pas qu'il est censé rire. Parce que c'est une mort. Parce que j'entends les rires dans ma tête, et il y a ce silence plat avec le bruit des grillons dans le public, vous savez ?".


Je le sais en quelque sorte. Il y avait pourtant des grillons morts dans mon esprit pendant la scène de "Django Unchained" où l'on visite une plantation du Sud dirigée par un monstre de gentillesse nommé Calvin Candie (Leonardo DiCaprio), qui, pour son divertissement d'après-dîner, fait combattre à mort deux esclaves. C'est un combat brutal, couvert du sang qui coule inhabituellement abondamment dans le film. L'esclave perdant hurle sans s'arrêter, et je me suis fait la réflexion que tout au long du film, il y a beaucoup plus de cris dans une scène violente que ce que l'on entend habituellement. Enfin, le combat est terminé, et on voit la tête de l'esclave vaincu alors que M. Candie laisse tomber un marteau sur le sol à côté d'elle. Le marteau, (hors champ mais à peine visible) est utilisé par le vainqueur du combat pour achever son adversaire.


À ce moment du film, je me suis retrouvé à composer mentalement une lettre à Quentin, expliquant pourquoi j'avais arrêté de regarder son film. La lettre n'a pas été écrite. Il y a des scènes de ce genre dans la plupart des films de Tarantino. Vous vous souvenez de Michael Madsen coupant l'oreille du flic dans "Reservoir Dogs" ? Quand QT commence un film, je crois que sa destination est de viser le sommet. Le sommet lui-même ne fera pas l'affaire.


On sait qu'il est un étudiant et un champion des films d'exploitation. Il digère leurs éléments et les réforme au plus haut niveau de leurs ambitions. Le but du genre de l'exploitation est d'attirer les gens sur la base du matériel choquant lui-même, sans tenir compte d'éléments tels que les stars de cinéma, les budgets, l'art, la profondeur ou quoi que ce soit d'autre. Dans le cœur de nombreux cinéphiles se cache obstinément le désir d'être... exploité.


Ce que Tarantino possède, c'est une appréciation de l'attrait du film d'exploitation au niveau des tripes, combinée au désir d'un artiste de transformer cet élément viscéral en quelque chose de plus élevé, de meilleur, de plus audacieux. Ses films défient les tabous de notre société de la manière la plus directe possible, tout en ajoutant un élément de parodie ou de satire.


Considérez la scène de combat que j'ai décrite. Où est le comique ? Tarantino dit qu'il entend des rires dans son esprit. Pourquoi ? Je pense que c'est parce que le film entier aborde le sujet douloureux et délicat de l'esclavage sans la moindre retenue. À un moment donné de la scène, le rire de QT est peut-être dû au fait que le public s'attend à voir de la violence, mais ne s'attend pas à ce qu'elle soit aussi extrême ; il en rajoute.


Le film est souvent beau à regarder. Les plantations du Sud de Tarantino sont des plaines au printemps, couvertes de nuages, avec des groupes d'esclaves debout comme des figures dans un paysage. Son film nous conduit jusqu'à Candyland, où l'odieux Calvin Candie possède la femme de Django, Broomhilda von Shaft (Kerry Washington). Candie organise des combats à mort avec des esclaves appelés Mandingues, et Schultz dit qu'il veut acheter un des combattants. Schultz dit qu'il veut acheter l'un de ces combattants. Il dit qu'il ajoutera un petit extra pour Broomhilda, l'esclave de Candie, parce qu'elle parle allemand et qu'il aspire à parler sa langue maternelle.


C'est une habile diversion avec le mandingue comme couverture. Candie y croit. Ce n'est pas le cas de tout le monde à Candyland. C'est un film tellement flamboyant que la performance la plus difficile, celle qui est la plus convaincante, risque en fait d'être négligée. Il s'agit du rôle de Samuel L. Jackson dans le rôle de Stephen, l'esclave le plus favorisé et le plus privilégié de Calvin Candie. Il fait office de majordome et de chef du personnel de Candyland. Il est bien habillé, traité avec un respect (relatif) par Candie, et considéré par les autres esclaves comme un blanc raciste - pire, parce qu'il trahit sa race. Il est l'oncle Tom classique, élevé au rang de grand-oncle Thomas, Esq.


Il y a une scène révélatrice où Stephen et Calvin se détendent à huis clos à la fin de la journée, partageant des verres de brandy. Dans ces quartiers fermés, ils pourraient être égaux. Ca m'a rappelé "Downton Abbey" et les conversations privilégiées entre le comte de Grantham et le majordome Carson. Il ne fait aucun doute que Stephen mène la vie la plus confortable possible pour un esclave à cette époque, mais quel prix il paie ! Personne n'a des yeux plus menaçants que ceux de Jackson, et l'on peut presque lire dans ses pensées lorsqu'il regarde Django, Broomhilde et Schultz et qu'il voit à travers l'histoire de Schutz qu'il veut payer un prix grotesque juste pour avoir quelqu'un avec qui parler allemand. Il confronte Calvin à l'évidence : c'est Django qui aime Broomhilde et la désire.


Révéler cette vérité implique Stephen dans une trahison qui, à certains égards, est l'action la plus détestable du film, car il pèche non seulement contre les autres mais aussi contre lui-même. Il confirme que, dans un gouffre putride de son âme, il se considère comme un Blanc. La façon dont Tarantino traite les conséquences de sa trahison met en branle toute la fin du film, avec sa célébration quentonienne satisfaisante de la violence, des explosions, etc. Stephen est aussi, si l'on veut, un deus, redescendu sur la scène pour que ses réalisations puissent couper court à la révélation du secret que les autres partagent. Il travaille dans ce but, mais aussi, dans un film qui condamne le racisme blanc, il est aussi capable de voir le racisme noir.


Stephen est un personnage crucial car il oblige les spectateurs afro-américains à reconnaître le rôle que certains de leurs ancêtres ont joué à l'époque. Tout comme plus récemment en Afrique du Sud, un système dans lequel une personne en dirige dix est rendu possible par la coopération de certains des dix. C'est un fait dur et inévitable. La performance de Jackson requiert non seulement ses dons d'acteur mais aussi son courage d'homme qui comprend l'utilité d'un rôle évident et qui est prêt à le jouer.


Le nom "von Shaft" reflète également le penchant de QT pour l'introduction de noms distrayants et farfelus au milieu d'un sujet sérieux et violent, comme une sorte de signal au public que Tarantino sait qu'il est à la limite de la parodie. Le prédécesseur de Tarantino, Russ Meyer, aimait lui aussi affubler ses personnages de noms inattendus ; dans "Ultra Vixens", on trouve Eufaula Roop, Mr Peterbilt, Dr Asa Lavender, Semper Fidelis, Norse Flovilla Thatch et Beau Badger.


"Django" a été critiqué pour sa surutilisation du n-word, une accusation de longue date contre Tarantino. Dans ce cas, bien que le total dépasse la centaine, je l'ai compris comme un mot d'usage courant dans le Sud antebellum. Dans le contexte, il y avait une raison à cela. Le film a également été attaqué pour son incroyable niveau de violence, et c'est à cela que je répondais en composant ma lettre imaginaire à Tarantino. Oui, il mérite son classement R et, à une époque antérieure, il aurait pu être classé X. Mais ce qui compte, ce n'est pas ce qu'un film fait, mais comment il le fait et, dans un sens, la violence reflète le désir de Tarantino de briser le niveau de confort du public pour les films d'exploitation et d'insister sur le fait qu'il s'agissait bien d'une société et d'une culture inhumaines.


Tarantino attaque à tous les niveaux. L'une de ses scènes les plus inspirées implique les membres du Klan qui râlent et se plaignent de ne pas pouvoir voir à travers les trous des cagoules qu'ils portent sur la tête. En tout sauf le sujet, ca pourrait être tiré d'un film de Looney Tunes. QT est à la fois grandiose et pragmatique, il joue librement avec l'invraisemblance, il fait entrer ses clients dans la tente et leur donne ensuite un spectacle de forains auquel ils ne sont guère préparés. C'est un cinéaste accompli.

JethroParis
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le 16 avr. 2022

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Jethro Paris

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