Docteur Folamour ou comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe (Dr Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb) est une excellente comédie satirique réalisée par Stanley Kubrick, coécrite par Terry Southern et Peter George, d’après le livre de ce dernier, Red Alert (1958) sur une musique composée par Laurie Johnson (dont le thème When Johnny Comes Marching Home, décliné en plusieurs variations), sur très photographie (En Noir et Blanc) de Gilbert Taylor (Quatre Garçons dans le vent (A Hard Day's Night) de Richard Lester) et des décors créés par Ken Adam (Sur une vision très personnelle du cinéaste) qui met en scéne la troisieme guerre mondiale (qui déclencherait automatiquement l’holocauste nucléaire) déclaré par e général américain Jack D. Ripper (joué par l'excellent Sterling Hayden), frappé de folie paranoïaque, qui décide d’envoyer ses B-52 frapper l’URSS... dont un piloté par le Major T.J. « King » Kong (joué par le très bon Slim Pickens) un cowboy qui n’hésite pas a chevauché la Bombe... Entre temps un débat s’engage alors entre les tenants des différentes options politiques et militaires qui s’offrent au président des États-Unis (joué par Peter Sellers)... Dont la seule possibilité pour éviter un conflit majeur est de fournir aux Soviétiques les positions des avions, afin qu’ils les détruisent... contre l'avis du Général « Buck » Turgidson (joué par l'excellent George C. Scott) et une consultation du Docteur Folamour (Peter Sellers), un scientifique transfuge nostalgique du régime nazi. Il explique alors une solution possible pour sauver l'espèce humaine : ne sélectionner que les meilleurs éléments pour les emmener survivre sous terre, réprimant un salut nazi lorsqu'il donne ses explications...
Peter Sellers interprète à lui seul trois rôles : le président des États-Unis, l'officier anglais Lionel Mandrake et le Docteur Folamour.... Mais il aurait dû jouer un quatrième personnage, le Commandant T.J. King Kong qui pilote le B-52, mais une blessure à la cheville l'a empêché de tenir ce rôle très physique. Pourquoi quatre rôles ? Selon le cinéaste, il s'agissait de quatre rôles nécessitant un grand talent comique que seul détenait selon lui Peter Sellers... Lequel par ailleurs, nourrit avec ce film un propos qui lui semble cher : la dénonciation de l'incompétence des politiciens de tout bord, l’absurdité criminelle des projets et des réalisations des complexes militaro-industriels.... Le Docteur Folamour, le personnage-titre, incarne le recyclage par les États-Unis (et l’URSS) des scientifiques ayant œuvré (et souvent adhéré) au régime nazi.... Et il est inspiré de Wernher von Braun, un ancien savant allemand à la solde des Nazis, père des V2, qui est un spécialiste des propulsions et tenues en vol des fusées, a fait décoller les programmes de la NASA... de Edward Teller (un juif hongrois) l'ingénieur et inventeur de la bombe H... qui deviendra plus tard conseiller technique du président américain.. Et du mathématicien et physicien John von Neumann, qui fut chargé de certains calculs au sein du projet Manhattan et qui fit partie du comité chargé de désigner les cibles des bombes et calcula l'altitude optimale d'explosion de ces dernières afin qu'elles fassent le maximum de dégâts...
Docteur Folamour est, selon Bosley Crowther pour le New York Times « la plaisanterie macabre la plus choquante que j'ai jamais rencontrée, et en même temps l'une des pointes les plus ingénieuses et les plus acérées, dirigée contre la balourdise et la folie de l'armée, encore jamais montrée à l'écran »... Et selon beaucoup d'autres (dont je fais parti) Une veritable dénonciation sur l'incompétence des politiciens et des militaires... Sorti en 1964, à peu près six mois après l’assassinat de Kennedy à Dallas, Dr Folamour traite d’un sujet brûlant : la possibilité d’un holocauste nucléaire.... Le film commence avec une portée véritablement documentaire sur un générique créé par Pablo Ferro, insistant sur les protocoles, les tableaux de commandes et confère au récit une crédibilité inquiétante. Avant d’emballer la machine, le scénario prend soin de l’installer solidement au sein d’un système rigide et à l’inertie blindée, à l’image de cette sublime war room, à la gigantesque table sphérique... L’intrusion du comique se fait par les portraits de plus en plus précis des personnages, eux même plus dingues les uns à la suite des autres. Peter Sellers joue parfaitement de cette escalade de la démence à travers ses trois personnages, gravissant la hiérarchie vers un final absolument jubilatoire dans son numéro du nazi rattrapé par ses premières amours.
Alors que la première partie se fonde surtout sur des dialogues étonnamment calmes au vu de la gravité de la situation, mesure que la tension due à l’avancée du B52 s’accroit, les masques tombent et les répliques fusent : tout le monde en prend pour son grade, et la paranoïa sur le péril rouge est ici un chef d’œuvre de bêtise. Le comique se décline alors sous toutes ses facettes : du pur gag (les pièces nécessaires pour téléphoner au président) à la parodie de diplomatie (quel président est le plus désolé de cette situation ?), en passant par le non-sens (les « natural fluids ») et l’humour noir... Enfin bref, cette splendide rhétorique par l’absurde génère un ballet grotesque, brillamment interprété, férocement drôle, politesse du désespoir elle seule capable de rivaliser avec la destruction massive... Est (pour moi) le premier chef d'oeuvre de Stanley Kubrick.