Il est passionnant d’observer dans le comportement de sœur Aloysious Beauvier – interprétée à la perfection par une Meryl Streep imposante – la lente mais certaine dégradation d’une foi qui s’étiole à mesure que la lumière se fait sur les agissements du père Flynn : d’abord ce contact repoussé qui vaut à un jeune élève d’être remarqué, puis l’ébriété d’un autre élève dont la couleur de peau et l’orientation sexuelle le marginalisent au sein du groupe. Beauvier commence par incarner la rigidité physique de la religion et du respect de celle-ci, avant de comprendre que le seul combat qui vaille n’implique guère de rester attaché à la vétusté des protocoles mais de s’interposer dans les pratiques morales que le personnel ecclésiastique s’autorise avec les plus jeunes. Ce faisant, elle tend à se dérider, tourne en dérision les us et coutumes – en témoignent les quelques blagues ou le mensonge qu’elle ose commettre pour démasquer l’hypocrite coupable – tout en faisant preuve d’une intransigeance morale. Dit autrement, elle donne à entendre une justice qui n’est plus celle de Dieu, mais celle de la raison et de l’humanité.


Doute réussit très bien à incarner cette conversion d’une foi régulière en foi séculière, en prise directe avec l’époque contemporaine et ses préoccupations qui tend à s’élever au-dessus du christianisme pour s’universaliser : il faut veiller sur nos enfants et ne pas s’en remettre à des instances supérieures qui ne sauraient remplacer la vigilance, la nécessité d’un dialogue au sein de la famille. À ce titre, la séquence de dialogue entre Meryl Streep et Viola Davis est d’une justesse déstabilisante, réfléchissant deux points de vue incompatibles mais tous les deux compréhensibles et vibrants d’authenticité. Car la puissance du film réside à n’en pas douter dans ses échanges verbaux et bénéficie pour cela d’acteurs remarquables : la confrontation entre Streep et Seymour Hoffman glace le sang autant qu’elle intrigue, donnant à voir dans ses silences les zones d’ombre et de monstruosité cachées derrière des bonnes intentions.


Doute ne résout rien, laisse entendre, suggère, glisse des indices qui construisent une polyphonie à l’origine même du doute dont il est question ici. Surtout, il pose la question de la nature de l’amour parfois viciée qui motive et anime le personnel religieux, ose se saisir frontalement d’un sujet encore tabou aujourd’hui qu’il traduit à l’écran par un travail de l’image et de la photographie (signée Roger Deakins) avec ses cadrages désaxés, ses couleurs froides et ses lents mouvements de caméra.

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le 9 févr. 2020

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