Nicolas Cage est l’un des rares acteurs sur lequel on construit la singularité d’une œuvre : loin d’être bankable, il est devenu au fil des années une caution à pitch improbable, alternant les commandes paresseuses et les petites trouvailles insolites, au point qu’on ne le perd jamais totalement de vue. Sa rencontre avec le réalisateur de Sick of Myself, cinéaste norvégien assez proche des thématiques de Ruben Ostlund, offre ainsi un point de départ on ne peut plus accrocheur, où un professeur d’université à la carrière assez fade se retrouve apparaître dans les rêves d’une grande part de l’humanité.


Le ton, volontiers intimiste, fait la part belle au portrait d’une famille normale, ajoutée au grain d’une pellicule qui rendra nostalgique sur un cinéma comme on n’en filme plus. Kristoffer Borgli s’amuse ensuite à confronter cette routine aux rêves en question, l’occasion d’une poésie onirique qui vire assez rapidement à la compilation un peu vaine, et annonce le programme en termes d’écriture. Conte philosophique satirique, Dream Scenario est effectivement un regard panoptique sur la société américaine, saturée de concurrences (le vol d’idée pour les publications universitaires, les tentatives de l’épouse pour rejoindre un projet excitant dans sa boîte), de phénomènes de masse et de vanités transformées en perspectives lucratives. La dénonciation procède à la manière d’un exposé assez laborieux, et si certaines séquences peuvent décrocher quelques sourires (la réunion avec la start-up de Michael Cerra, par exemple), la rapidité avec laquelle l’opinion se détourne pour tourner au lynchage collectif suit les rails de la démonstration, sans aucune finesse ou complexité. Certes, le réalisateur retranscrit avec exactitude cette fausse politesse américaine et ce jeu des phrases bien tournées pour crucifier publiquement un individu, de la même manière qu’il satirise les thérapies de développement personnel ou la banalisation du traumatisme, mais cela peine à mener à de véritables enjeux, et relève toujours de la petite pastille temporaire.


Le récit vire ainsi à l’étude de cas de la cancel culture, assorti de cette absurdité quant à l’innocence complète de celui qu’on voue aux gémonies. Un angle qui questionne un peu dans la mesure où il présente cette hystérie collective comme un délire où les victimes se référeraient à des crimes qui ne sont que le fruit de leur imagination, permettant certains parallèles tendancieux sur le crédit à apporter aux témoignages pouvant accabler les prédateurs du monde réel. La référence à la France reste cela dit très drôle, et remet au goût du jour celle trouvée par Woody Allen dans Hollywood Ending : il y a vingt ans, nous étions le repère des cinéphiles exigeants. Aujourd’hui, nous sommes le pays de la tolérance envers les pervers notoires…


Mais, surtout, Borgli ne sait plus vraiment quoi faire de son intrigue une fois la mécanique de la destruction planifiée, et opte pour un développement assez inintéressant qu’on pourrait trouver dans un épisode de Black Mirror. Et à la réflexion, c’est probablement à ce format et cette durée plus modeste qu’aurait du se limiter cette idée prometteuse, mais, comme souvent, sans réel potentiel.


Sergent_Pepper
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le 28 déc. 2023

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