On a suffisamment entendu çà et là que Nicolas Winding Refn était un des next big deals du cinéma mondial pour que j'aie besoin de le réaffirmer ici. Mais la constance de l'excellence du cinéaste est assez remarquable, et Drive est possiblement le sommet de sa carrière, déjà excellente au demeurant. On a trop vite fait de le reléguer au rang de l'esthète de la violence ; ce film vient au contraire nous rappeler que Winding Refn peut être un grand élégiaque. Et un brasseur de genres hors pair : Drive mêle le film de voitures, le film de mafia, le mélodrame et le thriller en même temps. Pendant une heure et demie, le cinéaste nous offre une démonstration de mise en scène virtuose, à la hauteur du prix éponyme qu'il ramena de Cannes cette année.
Un cascadeur d'Hollywood. On ne sait pas son nom, ce n'est qu'un monolithe derrière un volant, une réduction du conducteur à sa plus simple expression. Comme on se fout de savoir qui a été le cascadeur de telle vedette sur un film, on se fout de savoir si Ryan Gosling a un autre nom dans le film. On sait peu de choses de lui, le film se veut avare en paroles et en affirmation, tout comme le One-Eye de Valhalla Rising n'avait pas réellement d'identité. Il n'est qu'un destin, une vie humaine broyée dans une chaîne de la stupidité humaine, thème cher au cinéaste qui en a fait le thème central de ce cinéma. Ce film est désespéré car toute rédemption y est impossible : la mafieux finira toujours par replonger ou être rattrapé par les actes de son passé. Mettre la main dans l'engrenage, c'est signer son arrêt de mort, tout le reste n'est que survie désormais.
Drive est un film avec peu d'affectif, mais avec beaucoup d'humanité, à l'image du personnage du Driver. Souvent présenté comme une machine (en témoignent ses laïus mitraillette lors des scènes de briefing), pas très causeur quand il s'agit de percer la carapace, il n'offre aucune prise, on ne sait pas le juger, on ne sait même pas identifier ses motivations. La seule qui semble fissurer un peu la muraille, c'est Irene (Carey Mulligan). Irene est mariée à un ex-taulard, a un fils, et traîne son malheur dans son petit appartement miteux. Le Driver est un type bien, mais son mari l'est aussi. Le reste est un enchaînement de coups du destin, d'effets dominos qui s'orchestrent dans un déchaînement de violence parfois malaisante, mais jamais gratuite. Galerie de portraits parfois tarantinesques (Shannon, interprété par Bryan "Breaking Bad" Cranston ; un Ron Perlman un peu bouffi et au caractère extravagant...), polar classieux et étouffant à la James Grey (la fatalité de toute cette histoire n'est pas sans renvoyer au somptueux La Nuit nous appartient), Drive est une oeuvre formellement magnifique, patchwork d'ombres inquiétantes, de lumières blafardes et de néons sur le point de griller, bercée par une bande-son électro-pop vertigineuse.
L'une des nombreuses grosses claques de la dernière sélection cannoise et la promesse définitive que le cinéma danois peut être plus excitant que chez Lars von Trier.