Cette oeuvre magnifique nous accompagne, résonne longuement dans nos vies, favorise des méditations océaniques sur le temps et les souvenirs, l'amour du théâtre, l'érotique des mots ou sur la culpabilité. Yûsuke Kafuku, comédien et dramaturge, accepte de monter "Oncle Vania" dans un festival, à Hiroshima. Une jeune femme, Misaki, lui sert de chauffeur. Entre le théâtre et son domicile, leur relation devient peu à peu amicale et les cendres du passé se réactivent.
En voiture, Yûsuke écoute les enregistrements de sa femme, récite son rôle dans les plages de silence, s'imprègne de l'esprit de la pièce. Scénariste à la télévision japonaise, Oto racontait souvent des histoires à son mari, lequel entrait dans son jeu, complétait certaines situations. Un feuilleton ou un film naissaient peu à peu. Ainsi chacun participait au travail professionnel de l'autre. Trois ans après le décès de sa femme, sa voix jaillie du passé anime l'habitacle, hante l'esprit de Yûsuke.
Vie professionnelle, vie familiale et vie intime s'entremêlaient, tressaient des liens inextricables. Le film commence par une scène d'amour. Oto raconte à Yûsuke l'histoire d'une lycéenne qui pénètre par effraction chez un camarade de classe. Elle fouille sa chambre, vole un objet pour signaler son intrusion et disparaît. Le couple associait souvent l'amour et le travail à travers l'érotique des mots. Parler de sexe et d'adultère avant l'amour, pendant l'amour, en parler après l'amour comme son prolongement naturel.
Cette sorte de fusion existentielle remonte à un drame dont ils ne se sont pas remis. Vie familiale, vie de couple, carrières, le séisme a tout bouleversé. Yûsuke démissionna de la télévision et choisit le théâtre. Oto la comédienne devint une scénariste appréciée à la télévision et Yûsuke découvrit un de ses secrets peu avant sa mort... Au théâtre, lectures et répétitions d'"Oncle Vania" se succèdent. Les comédiens de diverses nationalités ne parlent pas tous japonais. Le coréen, l'anglais et le langage des signes (pour une actrice muette) sont nécessaires. Des amitiés et des liaisons amoureuses se nouent. Les répliques de Tchékhov font mouche, perturbent Yûsuke, le ramènent aux échecs de sa propre vie.
Au volant de la Saab rouge de Yûsuke, Misaki est d'une absolue discrétion, se veut même transparente. Yûsuke admire sa conduite fluide qui favorise sa concentration sur les rôles. Entre silences et écoutes, tous deux explorent un espace dramatique, où se révèle une souffrance hérissée de culpabilité. Les mots, les silences, les positions des corps dans l'amour ont chacun leurs limites propres. Grâce au langage des signes, l'actrice muette accède à une dimension émotive particulière qui enrichit le travail collectif.
Après la représentation d'"Oncle Vania", le film bascule une fois de plus. Adieu Tchekhov et le rivage tropical d'Hiroshima ! Nous traversons le Japon du sud au nord, à travers le froid et la neige, jusqu'à la désolation d'une maison carbonisée. Mais ce n'est qu'une étape d'un voyage plus vaste.