Drug War
6.9
Drug War

Film de Johnnie To (2013)

Ambitieux autant que talentueux Johnnie To a toujours eu une gestion particulièrement bien huilée de sa carrière. En occident il est connu pour ses polars secs et racés, des bijoux noirs et intransigeants qui marquent le spectateur. Ce qui est moins connu c'est qu'en parallèle le bonhomme réalise et produit des comédies et des films à l'eau de rose, parfois inspirés mais souvent purement commerciaux afin de remplir facilement les caisses. Un grand écart qui serait certainement très mal vu sous nos latitudes mais qui n'empêche pas Johnnie To d'accoucher régulièrement de films fabuleux. Dans ce grand calcul entre exigence et rentabilité il y a la Chine continentale, territoire tout proche de Hong Kong et pourtant inaccessible à cause de nombreuses contraintes imposées par le régime local.


Après avoir essayé avec la comédie sentimentale To s'attaque à la Chine avec un film policier. Deux raisons à cela : D'une part le genre est plus vendeur à l'internationale. D'autre part ça reste son terrain de prédilection esthétique pour montrer aux chinois son savoir-faire. Mais voilà, pour réaliser le projet en Chine continentale il lui faudra composer avec la censure locale, répondant parfois à des critères absurdes.


Drug War fait partie de ces films dont on connait le sujet rien qu'en lisant le titre : le trafic de drogue, en Chine donc. Le transport, les transactions, les acheteurs, le réseau et les flics qui essayent de s'en débarrasser. Simple, limpide, ni plus, ni moins. Un sujet audacieux pour un film tourné en Chine, qui préfère largement les fresques costumés et poétiques aux problèmes contemporains et dérangeants. Autre point surprenant : les trafiquants sont chinois (bon Hong-Kongais tout de même). Il est récurrent, même si ça n'est pas propre à la Chine évidemment, que les méchants soient d'origine étrangère (Thaïlande, Philippine, Malaisie notamment) , surtout dans un pays où on nie publiquement les problèmes de drogues et où le reste du monde est accusé d'avoir causé ces mêmes problèmes. To semble avoir bénéficié d'une liberté étonnante et appréciable.


Le film essaye de retracer toute la filière, en partant d'une livraison jusqu'à la tête d'une organisation au fil d'une intrigue simple, peut-être simpliste par moment.
Néanmoins ceux croyant voir une version chinoise du "Traffic" de Soderbergh en seront pour leur frais, la déclinaison proposée ici est en effet bridée... par la censure évidemment. Les mots "corruption" et "complicité interne" sont par exemple complètement absents. De la même façon on ne trouvera aucune référence à la façon dont la chose est traitée à l'échelle politique ou même simplement dans les délégations territoriales. Tout un potentiel qui avait pourtant sa place dans l'approche graduelle de To, un potentiel que l'on sent volontairement écarté pour ne pas risquer l'annulation du projet. Par ricochet les filcs sont irréprochables et les méchants sont méchants car la drogue, c'est pas bien.


Sans doute bien conscient de ces limites To arrive néanmoins à tirer quelque chose de ses personnages. Ils sont simples mais ils ont tous un côté imprévisible, obsessionnel et jusqu'au boutiste. On retrouve en eux ces traits de caractère qui habitent de nombreux personnage de la filmographie de Johnnie To et avec lesquels il peut tout se permettre. Héros ou enflures, ils vont au bout de leur logique. Si les flics sont irréprochables ils sont tout sauf intouchables puisqu'ils meurent sans détour, non pas en héros mais en simple fonctionnaires. Il a dû faire des sacrifices pour la faisabilité de son film mais il n'est pas pour autant le jouet des autorités. Il est même assez culotté de voir que le personnage le plus touchant du film reste celui du trafiquant (joué par un Louis Koo en forme) et que les gangsters apparaissent bien plus humains que les flics, relégués au rang de Terminators sans âmes (Honglei Sun redéfini la notion de monolithique).


Tout en froideur et en méthode le film avance, gère sa tension au compte-goutte. Le déroulement du film est assez particuliers, presque lancinant et pourra peut-être faire décrocher. Mais tout le talent de To à la réalisation fait que l'édifice tient debout. Toujours aussi inspiré au cadre, à la mise en scène et au montage le maître du polar HK moderne prouve qu'il n'usurpe pas son titre. Les jeux de placement et la gestion de l'espace sont une nouvelle fois parfaitement pensés. To arrive à récupérer certains passages obligés de façon surprenante et originale, comme une rencontre trafiquant-flic infiltré à la conclusion épique, et il accouche de fusillades que lui seul pouvait faire. Des moments de bravoures fait de violence sèche, sans pathos et dont la longueur et les rebondissements jouent avec les limites de l'absurde, tendant même vers l'ironie par moment. Là encore on est surpris que la censure ait validé une copie aussi violente. On retrouve d'ailleurs cet esprit si particuliers aux films asiatiques, celui d'aller jusqu'au bout des personnages et des idées, certains coups de pute ou certaines morts ont le don de marquer l'oeil et l'esprit.


Reste un épilogue complètement foireux, expédié certes mais malheureusement présent, qui nous rappelle bien dans quel cadre a été produit le film. Une séquence dont on se serait bien passé et qui laisse un sale goût en bouche.


Polar stylisé tour à tour hypnotique, puis un peu lourdaud puis complètement déglingué "Drug War" ne ressemble qu'à Johnnie To. Dans les personnages obsessionnels, la mise en scène millimétrée et le traitement étrange d'une l'intrigue limpide on reconnait la marque du cinéaste Hong-Kongais. On pourra aussi dire que To reste dans un exercice trop familier, sans vraie nouveauté. C'est vrai mais, en même temps, ça reste réussi. Le réalisateur est resté digne et honnête et n'a pas transformé son film en outil de propagande. Mieux, avec ses thèmes épineux et son traitement rugueux "Drug War" repousse les limites du film fait en Chine continentale... cependant difficile de ne pas penser au film grandiose qu'il aurait pu être si Johnnie To n'avait pas insisté pour le réaliser en Chine.

Vnr-Herzog
7
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le 13 août 2013

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