« A great man doesn't seek to lead, he is called to it. » 

On ne présente plus l'ampleur de la tâche qui incombait à Denis Villeneuve, et l'audace du pari qui consistait à adapter le cycle de Frank Herbert, quand Jodorowski et David Lynch s'y étaient cassés les dents. Dune est entachée d'une Légende Noire : l'idée qu'il serait inadaptable, voire maudit.


La grande difficulté, inhérente à toute adaptation – qui plus est d'une saga – est d'être capable de synthétiser et représenter fidèlement un univers développé à travers des milliers de pages, dans un film qui ne peut se permettre de longues digressions explicatives, et qui se trouve toujours pressé par le temps. Comment introduire à un univers si riche quand on n'a que l'espace de 2h30, et comment synthétiser toute une série de livres, qui demandent des dizaines voire des centaines d'heure de lecture ? Villeneuve a fait son choix dès le départ, il n'a jamais caché le fait qu'il avait choisi d'en faire une adaptation en plusieurs épisodes (contrairement à ce qu'avait fait Lynch par exemple).


Ce film avait donc la tâche d'introduire à cette fresque monumentale, de réussir à poser les bases de ce que Villeneuve exploiterait ensuite dans ses films ultérieurs ; tout en proposant un récit complet, prenant et riche, qui puisse accrocher le lecteur et produire une œuvre qui soit digne d'intérêt en elle-même. Pour ce faire, il s'appuie sur un récit d'initiation, celui de Paul Atréides, fils de Leto Atréides, membre d'une des familles les plus puissantes de l'univers. On comprend d'ailleurs très vite que ce personnage a quelque chose de particulier : à la fois héritier de la famille Atréides, source de superstitions venant d'un peuple qui le considère comme un messie (le futur « Kwisatz Haderach ») , mais aussi source de convoitises, et d'inquiétudes. Il est encore jeune, il a peu d'expérience du combat réel. Le film présente donc la claire évolution de ce personnage (la fin du film symbolise d'ailleurs très bien le fait que l'on assiste à son « éveil »), il devient peu à peu un homme, forgé par les expériences auxquelles il se confronte tout au long du film ; le récit d'initiation étant étroitement liée aux événements tragiques qui prennent place dans ce premier épisode.
Tout en réussissant à introduire à l'oeuvre d'Herbert, Denis Villeneuve construit ainsi une véritable tragédie savamment mêlée à un récit d'initiation, qui permet d'ouvrir sur les hypothétiques prochains films. Le résultat est convaincant : l'oeuvre est riche, prenante, et intelligente. C'est une expérience puissante, avec des scènes assez fortes, humainement et émotionnellement. La difficulté qui consistait à poser les fondements de l'intrigue tout en proposant un film qui soit vivant a été, je crois, surmontée avec brio, tant on arrive à se retrouver clairement dans cet univers sans passer par des digressions redondantes. On est pris par cette géopolitique, par ces différents enjeux qui sont posés, ces relations de pouvoir, ce cynisme propre aux familles qui le détiennent ; ainsi s'installent progressivement et avec efficacité la richesse et la complexité de l'intrigue. De plus, le spectacle offert visuellement est très réussi (il ne tombe jamais pour autant dans le divertissement gratuit), et l'on comprend que le réalisateur ait insisté pour que l'on puisse y assister au cinéma. Certaines scènes présentent une beauté picturale marquante (je pense notamment à la rencontre avec la Révèrende Mère, ou le « dîner » entre Leto Atréides et le Baron, des images qui ne feraient pas pâle figure dans un musée). Dans la continuité de ses précédents films, Denis Villeneuve réussit à créer un blockbuster qui respecte le spectateur et le fait réfléchir, tout en lui proposant une véritable sensation esthétique.
Le principal point négatif que je trouve dans le film est sa construction, le point névralgique se trouvant à mon sens à peu près au milieu du film ( sans citer le passage en question, pour éviter les spoilers, je pense que chacun comprendra à quoi je fais référence), ce qui fait qu'il perd tout de même en intensité ensuite (sans pour autant que la fin soit décevante à proprement parler), alors que ce même passage aurait constitué un parfait final selon moi. Disons que la fin du film me semble moins puissante que ce qui passe plus tôt ; et, pire encore, qu'elle ne conclut de ce fait pas très bien ce premier épisode : elle est bien plus une ouverture qu'une fermeture, et je pense que le spectateur a le droit de rester légèrement sur sa faim, tant le réalisateur n'a pas cherché à présenter un épisode qui soit véritablement autonome, malgré sa dépendance à une série. Il me semble qu'il aurait été possible de mieux conclure le premier épisode, tout en ouvrant sur la suite. Si le film ne se termine pas en apothéose, il propose une histoire prenante de bout en bout, dans laquelle je ne me suis jamais ennuyé ; et ce défaut relevait à mon sens de l'ordre du détail, tant les autres obstacles ont été évités avec réussite.
Blockbuster intelligent, inspirant, et empreint d'une véritable beauté, c'est un film convaincant en tout point : en sortant du film, on ne demande plus qu'à retourner sur Dune, du moins j'espère que ce sentiment sera partagé par la majorité des spectateurs.
Slyzzer
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le 15 sept. 2021

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