Comme déjà dit lors de ma chronique de Dune ex Lynch, Dune a été un roman important pour moi en fin d'adolescence. Et il m'avait fallu relire complètement le roman d'Herbert pour vraiment apprécier le film de Lynch.

Mais d'abord un mot sur la configuration des films de Villeneuve et Lynch par rapport au roman.

Ma référence en termes de roman est l'édition chez Robert Laffont dans la coll. "ailleurs et demain". Ce gros roman est divisé en 4 livres (et non 3 comme dit, dans Wikipedia) : "Dune", "Muad'Dib", "Le prophète" et "le Messie de Dune"

Le film de Lynch recouvre "Dune", "Muad'Dib" et "le prophète".

Le premier film de Villeneuve recouvre "Dune" et "Muad'Dib" et le second film, "Le prophète".

Les films de Lynch et de Villeneuve se terminent avec les prémices du livre 4 "le Messie de Dune". En revoyant tout ça dans le détail, je peux presqu'affirmer (sans avoir pris de l'épice) que si le film de Lynch forme un objet entier et fini, je pense que la fin de la deuxième partie du film de Villeneuve annonce un troisième volet qui pourrait correspondre au "Messie de Dune".

Pour revenir à Herbert, on peut dire que le livre de Herbert est un formidable roman à tiroirs dans lequel on peut avoir diverses lectures qu'alimentent les nombreuses annexes qui approfondissent les personnages et les bases de l'Histoire. Mais on peut aussi parfaitement avoir une simple lecture de l'aventure sans s'emmerder dans les détails.

Le roman d'Herbert est un livre sur le pouvoir qu'il soit occulte ou officiel. Sur le pouvoir que l'on traduit – selon le contexte ou les circonstances – sous la forme de la politique ou sous la forme d'une religion. Le livre soulève le risque consubstantiel à toute religion (et à certaines politiques extrémistes) qui est d'engendrer le fanatisme.

Comme le dit Muad'Dib lui-même, "il n'existe nulle séparation entre les dieux et les hommes ; les uns et les autres se mêlent parfois sans distinction possible."

La grande difficulté qu'ont dû avoir les cinéastes que ce soit Lynch ou Villeneuve, c'est d'introduire dans le film un certain dosage de la philosophie (ou théologie, c'est selon) inventée de toute pièce par Herbert et qui est si caractéristique de l'ouvrage par rapport à d'autres histoires simples de SF (comme Star Wars).

L'histoire se déroule dans les années 10 000 et le monde a refusé (interdit), depuis de nombreuses générations, le développement de toute "intelligence artificielle". Pour compenser, d'autres facultés mentales ont été mises en place à travers diverses classes ou forces (par exemple la Guilde des Bene Gesserit ou la Guilde des Marchands). D'où l'importance stratégique de cette fameuse "épice" qui permet les voyages dans l'espace-temps ou dans les cerveaux. Dans le même temps, les comportements des gens, leurs titres ou leurs allégeances, relèvent du Moyen-âge. Sur la planète Arrakis (mais ailleurs c'est un peu pareil), on a l'impression d'être plongé dans une société archaïque comme chez les Touaregs ou en Arabie (celle de Lawrence) ou encore à Samarcande …

Lynch a traduit ça en faisant un film kitchissime. Qui est mal passé auprès des spectateurs. Que je n'ai apprécié qu'après une sérieuse relecture du roman dont bien des détails s'étaient estompés…

Villeneuve a fait des compromis avec une mise en scène plus neutre tout en conservant cette idée de société archaïque. On y retrouve d'ailleurs les principaux points-clés du roman et du film de Lynch. Personnellement, je trouve qu'il a joué gagnant sur ce coup-là avec des comportements des personnages plus naturels (plus actuels, si on peut dire) et une musique plus planante pour simuler cette vie austère et traditionnelle dans le désert. Et en ce qui me concerne, j'ai bien aimé la mise en scène de Villeneuve qui donne un autre éclairage. Du coup, indéniablement, le (s) film (s) de Villeneuve est (sont) bien plus faciles d'accès et me semblent pouvoir être appréciés sans avoir trop besoin de se référer à la complexité du roman. L'emploi des techniques numériques est fait à bon escient, me semble-t-il ainsi que la photographie qui utilise divers filtres pour donner des couleurs adéquates notamment au désert.

"Dune 1" de Villeneuve raconte le chemin initiatique de Paul Atreides, fils du duc Leto qui est en lutte ouverte avec l'empereur. Ce dernier, prenant ombrage de la notoriété grandissante de la famille des Atréides, lui a tendu un piège sur Arrakis.

C'est ainsi que Paul et sa mère Jessica se réfugient auprès du peuple du désert, les Fremen. Le "chemin" de Paul convergera avec le devenir du peuple Fremen jusqu'à ce qu'il soit reconnu comme un des leurs et surtout comme un prophète de nouveaux temps (heureux ?). Il prendra le nom de Muad'Dib.

On arrive là à un point essentiel où Paul est, d'une part, manipulé par sa mère qui est une Bene Gesserit et a de grandes ambitions politiques pour son fils, d'autre part, entrainé par le peuple Fremen qui nourrit une volonté de pouvoir sur la planète Arrakis par le biais d'un Jihad. Or l'ambition de Paul c'est, bien entendu, simplement de venger le meurtre de son père sans vouloir prendre le pouvoir et encore moins lancer une guerre meurtrière. La voie vers la paix sera donc difficile voire impossible et de toute façon incompatible avec ses propres aspirations à moyen terme qui sont de vivre dans le désert avec ses mystères et ses traditions, avec Chani, avec le Shai- Hulud (le vers des sables).

À propos du casting du film de Villeneuve.

D'abord, les personnages – principaux - de Paul et Jessica sont interprétés par des acteurs Timothée Chalamet et Rebecca Ferguson que je découvre. Enfin, pas tout-à-fait, je les ai déjà croisés sans les remarquer vraiment ("Hostiles", "The greatest Showman"). Ici, après réflexion, je les trouve très bien et parfaitement en adéquation avec leurs rôles.

En effet, Timothée Chalamet parait très jeune, trop jeune pour porter ce qu'on lui flanque sur les épaules. Trop mignon pour les enjeux en question. Mais c'est exactement le problème du personnage dans le roman.

Quant à Rebecca Ferguson, elle joue parfaitement sa carte de mère, d'amante du duc et surtout de sa puissance occulte. Elle eut à conjuguer son origine de Bene Gesserit avec celle de concubine du Duc, la conduisant à désobéir à son Ordre. D'où son attitude faussement effacée. Elle est conforme, elle aussi.

Un autre personnage intéressant est celui de Lyet Kynes dont le rôle est au service de l'Empire sur Arrakis. Dans le roman, c'est un homme et dans le film de Lynch, c'est Max Von Sydow qui tient le rôle (très bien, d'ailleurs). Ici, c'est une femme qui tient le rôle, Sharon Duncan-Brewster, que je ne connais pas non plus mais qui est une révélation pour moi. Elle apporte une belle humanité dans ce monde de brutes et je l'ai trouvée pleine de nuances…

Quant au personnage de Chani qu'on découvre à la fin et qu'on verra plus dans la partie 2, c'est encore une actrice inconnue pour moi, Zendaya, qui me semble tout aussi prometteuse. Au passage, car ce n'est pas dit dans le film, le (très beau) personnage de Chani est dans le roman, la fille de Lyet Kynes (Sharon Duncan-Brewster) ; ici c'est la femme mystérieuse et fière du peuple du désert…

Javier Bardem, que lui, pour une fois, je connais, joue le rôle d'un chef Fremen, Stilgar : excellent (et conforme)

Pour finir (et en laisser un peu pour la partie 2), c'est un excellent film qui n'apporte peut-être pas une grande plus-value sur le film de Lynch en termes d'interprétation du roman. Par contre, il présente le grand avantage d'être beaucoup plus accessible au grand nombre car il permet une lecture plus aisée des personnages et des concepts développés par Herbert. De plus la mise en scène, appuyée par une musique prenante et obsédante, est sensationnelle et me donne vraiment envie de découvrir ce réalisateur.

JeanG55
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le 11 mars 2024

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