Edward aux mains d'argent, sorti en 1990, pourrait se résumer bien simplement à une adaptation à la sauce Burtonienne du mythe de Frankenstein. Edward est un jeune homme reclus dans un grand château aux allures gothiques, implanté sur une colline qui surplombe une banlieue moderne. Créé de toute pièce par un savant décédé, il a tout d'un humain, si ce ne sont ces deux mains, pourvues de ciseaux remplaçant ses doigts. Il va être l'objet de la curiosité d'une ville entière lorsqu'il va intégrer tant bien que mal le quotidien d'une famille de cette bourgade. Edward va être plus ou moins adopté par cette communauté, jusqu'à ce qu'un malheureux accident fasse tout dégénérer. 
J'ai découvert ce film du haut de mes dix ans, en sixième donc. Aujourd'hui, j'ai dix-huit ans, et je ne m'en suis toujours pas remise. Je me souviens encore de la façon atroce dont mon cœur s'est brisé lors de la scène finale, et des étoiles mêlées aux larmes dans mes yeux face à la fabuleuse Ice Dance. Edward aux mains d'argent est le premier film à avoir profondément marqué mon âme d'enfant, me faisant découvrir à la fois la magie du cinéma, le caméléon Johnny Depp et l’œuvre de Burton dans toute sa splendeur.
Je trouve ce long-métrage d'une richesse thématique, visuelle et émotionnelle phénoménale, ainsi que d'une grande efficacité quant à sa capacité à émerveiller tout en dénonçant quelque chose de très fort, problème toujours présent dans la société actuelle: la discrimination. Burton nous présente alors une satire de la société, mettant en scène une jolie banlieue typiquement américaine dont les maisons sont toutes parfaitement bien alignées et dans laquelle les hommes partent tous au travail le matin tandis que leurs femmes vaquent à leurs occupations à la maison, qui consistent principalement à se tenir informées du moindre petit ragot. La société critiquée ici est celle qui refuse la différence, après avoir pourtant été attirée par celle-ci.
Ce conte décalé, comme de multiples œuvres de Burton, puise beaucoup d'inspiration dans divers mouvements artistiques.
On y retrouve ainsi l'expressionnisme allemand: en effet, nous pouvons voir une source d'inspiration dans Métropolis, qui présente également une figure de scientifique effectuant des expériences sur un corps d'apparence humanoïde dans son laboratoire, ou encore Nosferatu avec l'image du château isolé au sommet de la colline. Cette dernière œuvre permet de faire le lien avec un second mouvement, le mouvement gothique. On revisite ici tous ses codes: ambiance sombre, adaptation du mythe de Frankenstein, architecture du château éloigné de toute trace de vie... Enfin, la poésie décalée du film est ponctuée de touches romantiques donnant du baume au cœur, ainsi que d'une bonne dose de surréalisme. Tous ces éléments font d'Edward aux mains d'argent un film qui ne se regarde pas avec les yeux, mais qui se ressent avec l'âme, et l'un des rares films au palmarès de mes favoris.

Dans ce film, chaque personnage est emblématique d'une idée, porteur d'un message.
Commençons par le plus important, le personnage principal. Edward est profondément bon, symbole même de l'innocence qui ne connaît pas le mal. Sa perception du monde est erronée car il a toujours vécu en deçà. Il représente le Monstre, une créature ou un individu dont l'apparence, le comportement, surprend par son écart avec les normes d'une société. Le monstre, du latin monstranum, est celui qui va être montré, exposé au monde: on le donne en spectacle tel une bête de foire. Coté apparence, avec ses entailles plein le visage, ses vêtements et ses cheveux noirs, ce personnage est en nette opposition avec tous les autres qui sont quant à eux très colorés au niveau vestimentaire. Il tentera tant bien que mal de cacher cette différence aux yeux du monde et de s'habiller de la même manière que les autres, cependant cet essai se terminera sur un échec, et il déchirera lui-même ces vêtements qui ne lui correspondent pas avec ces ciseaux. Ce geste peut être considéré comme emblématique: même s'il tente de s'intégrer à cette société, sa différence fait et fera toujours de lui un étranger au sein de celle-ci. Le noir sur ses vêtements, en plus d'accentuer le contraste entre le jeune homme et le reste des protagonistes, peut être assimilé au deuil qu'il porte depuis la mort de son Père, à l'austérité et à l'abandon. Contraste également avec sa peau très pale, synonyme de pureté.
Les ciseaux sont ici pour lui rappeler le cadeau perdu dans la scène d'ouverture, les mains. La main établit le contact hum-main, et c'est bel et bien cela dont le jeune homme va être privé tout au long du film. Effectuer un baise-main, demander la main de quelqu'un... Toute une gestuelle de reconnaissance, de dignité part effectivement des mains. Elles sont aussi le symbole du toucher, qui est également refusé à Edward et donne naissance à la réplique culte: «Hold me. -I can't...». Grâce à nos mains, tout un patrimoine génétique est à notre portée, notamment avec les empreintes digitales qui marquent notre unicité en tant qu'individu. La main donne, reçoit, elle fait le lien, tout simplement, et le jeune homme en est privé. Cependant, si Edward est monstrueux d'apparence, il reste profondément humain dans son fond intérieur. Tout le contraire des habitants du quartier dont les maisons, vêtements et autres excentricités colorées cachent la noirceur de leurs âmes.
Nous assistons ici à la première collaboration d'une très longue série entre Johnny Depp et Tim Burton. Et quelle merveilleuse performance que celle du jeune homme, qui nous fait ressentir toute la solitude et la fragilité de ce personnage mélancolique sans avoir besoin de toucher un seul mot. Sortant des sentiers battus, l'acteur tenait à jouer ce rôle afin de se dégager de cette image de bad-boy pourfendant les cœurs de ces jeunes demoiselles. S'il nous fend tout de même le cœur par sa performante, tout en retenue et en justesse, nous pouvons considérer cela comme chose faite, car son talent d'acteur est ici révélé au grand jour. Ainsi, tout le monde a pu découvrir le caméléon aux multiples facettes.
Après Ed Wood, ce film est le deuxième long-métrage pouvant être considéré comme une autobiographie du réalisateur, car il est possible de voir dans le personnage d'Edward un véritable double de Tim Burton. En effet, ce dernier est, tout comme le jeune homme, un artiste considéré comme un outsider au vu des normes imposées par la société. Il est très intéressant de noter que le savant qui crée Edward est joué par Vincent Price, un acteur ayant fortement influencé le réalisateur, idole de son enfance, héros de ses rêveries gothiques et morbides. En effet, dans son premier court-métrage indéniablement autobiographique, Vincent, le protagoniste est tout comme lui un enfant solitaire et rêveur, étranger au monde réel, dont la passion pour ledit Vincent Price vampirise l'imaginaire. Nous pouvons donc voir dans ce choix de casting une métaphore de Price en tant que père rêvé de Burton, qui le construit et le fait devenir le personnage marginal que nous chérissons tant. Vincent Price est ici l'Inventeur d'Edward, le Dieu. Oublié de tous du haut de sa colline, il tente de créer l'homme parfait et meurt avant de l'avoir achevé. Comme précisé plus haut, les apparences sont trompeuses dans ce long-métrage. Edward, le fils qu'il s'est créé, viendra prendre sa place sur la colline à la fin du film et fera tomber la neige sur la terre, donnant au monde les rêves qui lui manquaient. Nous pourrions nous demander si le Créateur n'avait pas par inadvertance donné naissance à un monstre. La réponse est non, car le jeune homme cache une âme pure et innocente sous ses apparences monstrueuses. S'il fait le mal, c'est uniquement par inadvertance et maladresse.
Winona Ryder est aussi du voyage. Burton faisait jouer la jeune actrice pour la première fois dans Beetlejuice. Étant à l'époque la petite amie de Johnny Depp, leur complicité à l'écran n'est donc pas feinte et ajoute même une petite touche de magie au film. Le regard de la jeune fille envers Edward évolue en opposition avec le regard de ses pairs, passant de la méfiance à l'amour.
Diane Wiest joue ici le rôle de Marraine la bonne fée, étant clairement le personnage le plus emblématique du conte dans ce long-métrage. Edward ne l'effraie pas et elle l'adopte immédiatement, le prend sous son aile, allant même jusqu'à l'accueillir chez elle et à lui présenter sa famille. Elle incarne à l'écran l'image de la Mère qui manque au jeune homme.
Passons au dernier élément, mais pas des moindres, dans la symbolique des personnages: le bon peuple. Les gens cantonnés à leurs belles certitudes, habitudes, qui pensent tout savoir. Ce film interroge la définition-même de ce qu'est un monstre, et c'est finalement ce beau monde qui va se comporter de façon monstrueuse envers Edward, constat dur et désespéré de la nature humaine. La scène durant laquelle la foule se rassemble afin de le chasser jusqu'à son propre château dans lequel il s'est réfugié en est véritablement emblématique. La curiosité et l'adoration ont cédé leur place à la peur, et ils veulent désormais détruire le jeune homme, au prétexte d'un acte qu'ils l'ont poussé à commettre contre son gré.
Fantastique, ce conte l'est. Brutal, aussi, lors des explosions de violence d'Edward. Car si le jeune homme est profondément gentil, il se heurte à la méchanceté du monde. Le rejet du monde pousse Edward à se haïr lui-même, et le plan dans lequel il déchire la tapisserie de la salle de bain avant de se regarder dans le miroir ne peut que nous déchirer le cœur. Penchons-nous quelques instants sur la symbolique du miroir. Le miroir reflète la vérité, supposé montrer l'âme de celui qui se tient devant. Edward se retrouve confronté à son reflet, ainsi il se rend compte qu'il n'aura jamais sa place dans ce monde, qu'il y est manipulé. Le jeune homme taillade la tapisserie de rage et cela donne lieu à une tension de plus en plus palpable qui atteindra son apogée dans le climax du film avec le meurtre de l'ex petit ami de Kim, moment frappant de cruauté.
Cependant, en parallèle avec cette violence dévastatrice, Burton nous offre ici des scènes à la féerie tout simplement splendide. Le rêve déborde de l'écran et vient toucher nos âmes, porté par une bande-son merveilleuse. Les émotions sont décuplées et on ne visionne plus le film: on le vit. En cela, les scènes du final et de la danse de Kim comptent parmi celles qui m'ont le plus touchée à ce jour. Le personnage d'Edward est conscient de sa différence et l'utilise afin de créer malgré tout. Il s'exprime à travers ce handicap qui lui permet de faire de l'art, de sculpter formes ou visage avec sa simple imagination ou, finalement, de faire tomber de la neige (un autre symbole de pureté) sur un quartier tout entier.
Ce long-métrage met ainsi en avant l'un des thèmes emblématiques de la filmographie de Tim Burton: la solitude, la différence. Rentrer dans un moule ou être confronté à la solitude infinie sont les seules options possibles. C'est le message et la critique que semble nous faire passer le cinéaste, critique qui transcende les années afin de venir s'inscrire, toujours aussi frappante de vérité, dans la modernité de la société. Comme souvent chez Burton, la beauté se cache ailleurs. Ici, dans le cœur du jeune homme et non pas sous les couches de maquillage des mégères du quartier.
Je tiens tout particulièrement à accorder une mention spéciale à Danny Elfman. En tant que parfaite indécise, j'ai toujours eu beaucoup de mal avec les préférences. Cependant, je n'hésiterais pas une seule seconde avant d'affirmer qu'Elfman est mon compositeur favori. Son travail sur le film est absolument magistral, époustouflant... Magique, tout simplement. Il me suffit d'entendre les premières notes de la fabuleuse Ice Dance pour replonger immédiatement dans cet univers féerique, qui ne manque jamais de me donner des frissons. Je redeviens l'enfant que j'étais lors du premier visionnage de cette oeuvre, les yeux écarquillés devant le film qui a fait naître en moi la passion du cinéma.

L'intégralité de la critique d'Edward aux mains d'argent illustrée, c'est ici: https://thewritingsonthewallsite.wordpress.com/2016/06/04/throwback-on-edward-aux-mains-dargent/

Léna_Geynet
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le 4 juin 2016

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Léna Geynet

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