Immersion en course réussie mais un huis-clos en mer raté

En solitaire est le premier film, en tant que réalisateur, de Christophe Offenstein et, il faut le noter, il a fait un superbe travail de réalisation. Choisir de réaliser son premier film en pleine mer avec tout ce que ça implique est une jolie prouesse. Techniquement, ce film est une pépite qui parvient à mettre en image ce qu'est une course au tour du monde.


Là où le bas blesse, c'est que le film aurait pu se dérouler à l'occasion de n'importe quelle course au tour du monde et l'excuse du tour du monde en solitaire ne tient pas une seule seconde pour expliquer pourquoi Yann Kermandec se comporte comme il le fait. Je vais détailler un peu plus ce point.


Mano Ixa, un jeune mauritanien, monte clandestinement à bord du voilier de Yann Kermandec pendant une halte forcée pendant laquelle il a réparé son bateau. Pour que ce soit crédible, il n'y a qu'un endroit où cette situation ait pu se produire : au large des caraïbes. A cet endroit, la distance entre les terres africaines et les îles caraïbes est inférieure à 100 km. Avec un bateau de fortune, c'est jouable mais sur un bateau de fortune, les passagers sont rarement seuls...


Admettons... Yann Kermandec ne se rend pas immédiatement compte de la présence de son passager à bord... Admettons. Il doit quand même mettre entre 40 et 50 heures pour aller des Caraïbes au Cap vert (il y a un peu plus de 1500 km entre les deux)... Peut-être est-il myope comme une taupe... Peut-être est-il c*n comme une pelle...


Admettons qu'il ait mis plus de trois jours à se rendre compte qu'il y avait quelqu'un d'autre que lui à bord, la solution la plus intelligente, la seule qui lui aurait évité une disqualification, était de déclarer un sauvetage en mer... Il aurait alors déposé son passager en Angloa, en Namibie ou en Afrique du Sud... Il ne le fait pas... Admettons.


Il y a un point sur lequel je suis en total accord avec Alfred Tordu et sa critique du film : j'ai trouvé inqualifiable la scène dans laquelle Yann énonce à Mano qu'il pourrait choisir de le jeter par dessus bord pour ne pas être disqualifié. C'est ridicule, c'est stupide. Jeter Mano par dessus bord, c'est le tuer de manière certaine. A partir de quel moment est-il possible de penser, quand on est un comédien de la trempe de François Cluzet, que l'on a préparé le tournage de ce film en discutant avec Armel Le Cléac'h et Jean Le Cam, qu'un marin puisse dire à un naufragé que l'on va le jeter par dessus bord ? Je ne le sais toujours pas mais je peux conclure avec certitude que son personnage Yann Kermandec est c*n comme une pelle.


Il vient en aide à Mag Embling dont le bateau s'est retourné. Très beau geste, très sportif, très fair play. Un geste que Jean Le Cam n'aurait pas renié. Il secourt la malheureuse navigatrice qui, évidemment, fait la connaissance du compagnon d'infortune de son sauveteur... Elle est prise en charge par une équipe scientifique, la décision rationnelle que Yann Kermandec aurait pu prendre, la seule décision rationnelle que Yann Kermandec aurait dû prendre était de faire descendre ses deux passagers.


Admettons... Non, à ce moment-là, je n'admets plus rien. Yann Kermandec craint d'être disqualifié si l'on découvre qu'il transporte un naufragé. En revanche, il ne craint pas d'être disqualifié quand son équipe à terre l'interroge sur son choix de route et l'invite à changer de cap alors qu'il s'agit d'une manœuvre de routage qui est strictement interdite par le règlement du Vendée-Globe et qui entraîne... la disqualification.


En clair, le Vendée-Globe n'est qu'un prétexte, un argument commercial dont le film n'avait pas besoin, un artifice dispensable.


Le titre, lui aussi, n'est pas le bon. L'affiche annonce quelque chose de très simple à comprendre : un homme, un bateau et l'eau comme seule compagnie, comme seul horizon. Mais en fait, pas du tout, il y a les mails, les visios, les téléphones satellite...


L'intrigue ne tient pas et l'histoire ne tient pas ses promesses pourtant j'ai éprouvé du plaisir à voir ce film et je pense que j'en éprouverai encore à le revoir. Certes, le personnage interprété par François Cluzet est c*n comme une pelle (je l'ai écrit trois fois pour être certain que mes lecteurs - s'il y en a - le retiennent) mais sa performance d'acteur n'en est pas moins impressionnante. Il a préparé son interprétation et il est crédible. Mais le plus beau dans ce film, ce sont les images. Rares sont ceux qui ont fait le tour du monde, rares sont ceux qui ont vu des icebergs, des baleines, un océan à perte de vue... Ils sont rares mais grâce à ce film, on a pu découvrir ces joies simples offertes par l'émerveillement que suscite notre environnement.


Ce film aurait été meilleur si François Cluzet avait été seul, véritablement seul, si l'on avait pu ressentir ses espoirs, ses doutes, sa fatigue, son euphorie à l'idée de retrouver ceux qui lui manquent et, par la force des choses, ceux à qui il manque.

Lucas-Gaudichon
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le 6 sept. 2021

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Lucas Gaudichon

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