Ceux qui lisent et aiment Shakespeare le confirmeront : le génial auteur anglais, loin d'être un vieux ponte aux tournures de phrases ampoulées, se faisait parfois poète du caniveau pour gratifier ses pièces de quelques rires gras fort à-propos.

C'est donc logiquement que j'ai envie de qualifier « A Field in England » de profondément anglais, parce qu'il est comme ça, un genre de Shakespeare cinématographique qui fait ses pitreries dans un humour terriblement anglais, absurde, potache même, ce qui, par une étrange association d'idées, me fait penser à Bottom du « Songe d'une nuit d'été », cet humain laid, puant et sot, affublé d'une tête d'âne et en conséquence si rigolo.

L'histoire de « A Field in England » est simple, en tout cas au début. Quatre hommes se rencontrent au sortir d'une bataille sur le sol anglais, durant la guerre civile, et vont sympathiser pour faire un bout de route ensemble, en traversant une série de champs qui semblent n'en faire qu'un seul, immense, tant ils se ressemblent tous. Cette compagnie de Don Quichotte à la panse vide, en faisant connaissance, va connaître quelques déboires mettant en jeu des champignons hallucinogènes...

Si l'on y regarde d'un peu plus près, c'est plus ou moins ce que raconte « Le songe d'une nuit d'été », quand on y songe bien... des drogues, de l'humour gras et pince-sans-rire, de la bouffonnerie et le manque de respect des convenances, toutes ces belles choses que l'on aime à trouver chez Shakespeare comme un morceau de lard dans sa soupe se retrouvent dans « A field in England ».
Il me semblait parfois retrouver cette loufoquerie moyenâgeuse qu'ont par exemple les récits du Roman de Renart, et parfois retrouver, ici et là un thème plus actuel, une réflexion plus amère, qui me faisaient non pas me sentir comme un roi sans divertissement mais comme un pauvre bougre prêt à rire et pleurer pour pas grand' chose.

Ce qui rend, à mon sens, les bouffons de Shakespeare si extraordinaires, c'est sans doute l'attachement qu'ils créent chez le lecteur malgré leur maladresse, leur idiotie, cette empathie que l'on a pour quelqu'un qui vous ressemble et auquel il arrive des embrouilles. Un Shakespeare grossier et tonitruant n'est-il pas plus à même de glorifier la petitesse des humbles en les ridiculisant qu'un Shakespeare élitiste et hâbleur ?
« A Field in England » fait le même pari : la recette est la même, et elle marche formidablement bien. Dans cet immense champ anglais, j'ai contemplé cette compagnie d'attachants bras cassés aux motivations et personnalités variées se casser la gueule, se disputer et se déchirer avec la même chaleur que si j'étais l'un d'entre eux, et peut-être est-ce tout ce qui compte dans le fond ? Après tout, qu'importe de comprendre un scénario ou même y faire attention quand on a quelques gusses mangeant des champignons au milieu d'un trou paumé ? Cette chaleur et cette simplicité, ce terre à terre presque nauséabond du film est de ceux qui font d'un film initialement loufoque aux accents tragiques une fresque symbolique hallucinée et vraiment très humaine, de celles que l'on goûte parce qu'elles sont prétentieuses dans leur simplicité et audacieuses dans leur loufoquerie – tout cela, c'est le Shakespeare que j'aime et que j'adore.

Rendons donc hommage à l'initiateur de tant de belles choses : tant que l'esprit de William n'y mourra pas, l'Angleterre pourra aller en paix. Dieu sauve la reine, et qu'il encule tous les autres !
Tezuka
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le 27 avr. 2014

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