La première fois, ça va te faire mal

Et quelle première fois ! Si Eric Hannezo a perdu sa fleur hier soir, Mardi 22 à l'avant première du film, ce n'est que pour nous introduire dans sa vision très particulière du cinéma. Le thriller est un genre des plus casse gueule pour qui n'y est pas initié et il est aisé de tomber dans ses écueils. Point du tout avec Enragés qui a le mérite de s'introduire efficacement dans la grosse dame qu'incarne le suspense d'une oeuvre : difficile à contenter mais une fois que tu y arrives tu es le roi du monde.
Sur cette parenthèse douteuse, nous plongeons dans l'histoire où nous sommes gentiment accueilli par un générique (ce qui est trop rare de nos jours, je trouve) dont les plans rappellent les James Bond et divers films des années quatre-vingt. Appréciable donc. Très vite, le spectateur est catapulté au beau milieu d'un braquage où des hommes en masque de Jason s'enfuient dans une pétarade de l'enfer avec, ce qu'il semble être, un bon paquet d'oseille. Les rues sonnent Américaines mais tout le monde parle un bon Français; vous l'aurez compris, nous voilà au pays du sirop d'érable et des caribous mais quid de tout cela car la région et les plans de caméra sont sujets à un road-movie. Et pour un road-movie il faut une voiture; les braqueurs en changent plusieurs fois jusqu'à tomber sur le premier type venu : Lambert Wilson, rien que ça. Le malchanceux se retrouve donc cerné de flingues et est contraint à les conduire dans leur cavale malgré l'enfant dormant à l'arrière. Eh oui, le personnage de Lambert est plus que malchanceux car sa fille attendait le jour même une greffe d'organe à l'hôpital, greffe s'avérant compromise, au grand dam de ce "monsieur passe-partout".


Nous nous arrêterons là pour ce qui est de l'histoire car il serait dommage de tout révéler. Cela perdrait, disons, de sa saveur. Parlons plutôt des personnages, eux qui s'entassent dans cette bagnole, eux qui représentent évidemment l'axe central du scénario. D'un côté nous avons les otages. Que savons nous d'eux ? Lambert Wilson dans Enragés est quelqu'un de très effacé qui subit la violence de ses ravisseurs. Le bougre est tellement impuissant qu'il suscite automatiquement notre empathie dès les premières minutes. Il souhaite que sa fille survive mais ne sait pas plus comment l'aider que nous le saurions à sa place. En soi, son insignifiance révèle ou plutôt met en évidence le caractère et la folie des autres. A ses côtés dans cette mésaventure nous avons Virginie Ledoyen qui, à mon sens, tranche avec le personnage de Lambert tellement elle est ultra-sexualisée et cantonnée à n'être qu'un désir. Les premiers plans où nous la voyons essayer de la lingerie de luxe nous le confirme. Elle est là pour attiser le désir et, en un sens, elle aussi révèle le caractère et la folie des ravisseurs. Parlons-en des ravisseurs/braqueurs. Ils prouvent à eux seuls l'efficacité du scénario. Au fond, il ne s'agit pas d'un film de braquage, ce dernier n'a d'ailleurs que très peu d'intérêt. L'intérêt se situerait plutôt dans cette fuite, cette errance, que le réalisateur compare notamment à Apocalypse Now. En voyant le film, cela peut se comprendre. Au début, on a l'impression que l'on va rester cantonné à un de ces films Français que l'on a fait exprès à l’Américaine pour faire plus d'entrées. Oui Besson, on parle bien de toi, pas besoin de te cacher derrière le pot de fleur.
Mais si le début a été si compliqué à m'intéresser ce n'est qu'en plongeant plus en avant dans l'histoire que je compris mon erreur. L'effet était voulu et je suis tombé dans le panneau. Si tout parait en effet Américanisé, c'est pour une bonne raison. Hannezo cherche à créer de la surprise et y parvient plus d'une fois. Ce qui est certain c'est que les acteurs ont bien assimilés les codes du film d'action, et s'ils semblent les répéter au début, c'est pour mieux les dépasser et s'inscrire dans des comportements à mi-chemin entre entre l'humanité et la bestialité. Ces personnages ne contrôlent pas leurs propres violences ce qui prouve leur manque d'expérience.
Exit le quatrième braqueur que l'on oublie rapidement, et penchons nous sur les trois autres qui sont, mine de rien, des personnages assez intéressants. Nous avons en premier lieu Vincent, joué par François Arnaud qui, sous ses faux airs de candidat des Anges de la Télé-réalité est un véritable barge. Lui est en proie à la pulsionnalité que lui procure le personnage de Virginie Ledoyen; elle est le déclencheur de sa folie. A son opposé dans la voiture nous avons Manu (Franck Gastambide), l'archétype parfait du gars qui, petit à petit, à mal tourné mais qui, à la base, aurait très bien pu ne pas se trouver là. Ce n'est pas un "méchant" à proprement parler, les choses ne sont pas aussi simples dans le vrai monde. Il n'est que le produit de sa société qui laisse les descentes aux enfers s'accumuler jusqu'au désespoir. Et devant lui, lui qui tient si bien le flingue, faisant office de "petit chef" du groupe des braqueurs, se trouve Sabri (Guillaume Gouix que l'on a notamment vu dans la série Les Revenants). Sabri n'avait pas envie de devenir le chef, cela se voit et cela l'oblige à commettre certaines choses dont il se serait bien passé au début du film. Outre son regard d'une froideur glaçante, Guillaume Gouix nous offre un jeu très sincère et mystérieux, si bien que l'on ne sait jamais si l'on doit avoir de l'empathie pour lui ou de la révulsion.
Nous avons donc droit à trois facettes de la folie : l'un s'y trouve déjà et s'y maintient faute de mieux, le second y est contraint et ne peut y résister, quand au troisième, il y plonge sans possibilité de retour.

Enragés est très satisfaisant comme thriller même s'il connait des longueurs faute d'un squelette de scènes parfois lourdes de répétition sinon inutiles. Néanmoins, le film est bien pensé et apporte son lot de divertissement et de noirceur; deux éléments difficile à mêler.


J'ai passé un moment agréable dans une bonne ambiance, cela vaut bien un 8/10.


Par ailleurs, si vous aussi vous faîtes attention à, ce qui est pour moi un clin d’œil à Breaking Bad, pensez à moi.

Fosca
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le 23 sept. 2015

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