Tout est esclave de l'information à donner et il semble que le cinéma ne soit pour Kurosawa que de l'information à donner ! Mais le pire n'est pas que tout soit assujetti à cette tâche triviale, mais le peu de modulations qu'il se donne pour la satisfaire. Non seulement on respire peu, mais en plus, on respire mal ou, si l'on veut, on se contente de respirer, de cette mécanique de base et les acteurs d'ailleurs n'ont souvent pas été prévus pour autre chose.
Pas question de jouissance de l'instant, pas de jouissance de vivre (ou d'en donner l'illusion). Pas de jouissance d'un accident sur le tournage, d'une chose mal placée... et pas d'huile dans les rouages d'une mécanique préparée sur le papier.
Ici, comble de la pratique, toutes les informations sont données de la même manière brutale : par le dialogue et sans la moindre demi-mesure. Et lorsque des personnages nouveaux sont nécessaires à l'avancée de l'intrigue, on les siffle comme des malpropres pour qu'ils viennent se mettre dans le cadre là où il faut, sans souci de leur avoir donné une étincelle de présence avant ou ensuite. (Sous prétexte de faire un film de genre, faudrait-il que les personnages soient aussi passés à la tondeuse du genre et réduits à des pions d'échiquier ?) Il n'y a pas un être au monde qui soit aussi simple que ce que Kurosawa fait avec ces personnages, quelque soit la vision du monde, fataliste ou libre, que l'on peut avoir.
Cette brutalité réductrice va d'ailleurs totalement à l'encontre de sa réputation de cinéaste "humaniste", et je suis de plus en plus persuadé qu'il y a un fort malentendu sur Kurosawa, qui n'est finalement qu'un moraliste de la pire espèce... (qui opèrent également cette réduction violente) et qu'il n'est sauvé que par une certaine maniaquerie du détail.
Cette inscription géographique qui va rechercher dans le moindre détail la localisation d'une action passée est d'ailleurs la chose la plus passionnante du film. Une scène de train qui serait magnifique s'il n'avait encore voulu nous asséner un détail de 7cm (Comprenons-nous bien : il y a une certaine folie du détail qui est fascinante dans ce film, mais, par malheur, il les enfile tous de la même manière, comme un vulgaire collier de perles plastiques).
On pense à Lang, pour cette façon de mettre le débat dans le film (Lang ne se contente pas de le mettre dans le dialogue et se refuse à asséner une nouvelle fois ce qui peut être compris autrement). On pense aussi à M pour le suivi minutieux de l'enquête (Minutie devenue ici maniaquerie), mais Lang multiplie les formes, les décrochages "off", "in", les points de vue, les rythmes. La pauvreté et la brutalité de Kurosawa sont criantes... Seule sa maniaquerie scénaristique le sauve par moments, mais un scénario dont le tournage n'est malheureusement que l'application maladive et gelée, forcément et logiquement sans doute, mais tristement certainement.
Non, Kurosawa n'est ni un humaniste, ni un grand cinéaste. C'est un ingénieur, au mieux. Regarder n'importe quel grand film avant, lire n'importe quel grand livre, écouter n'importe quelle musique d'envergure et son film a l'air d'une vieille peau en comparaison.