Comme dans le poème d'Antoine Pol, Cecilia Yip est une passante. Celle "qu'on aime Pendant quelques instants secrets [...] Qu'un destin différent entraîne et qu'on ne retrouve jamais". Elle va perturber la vie d'un jeune homme, qui fout d'elle va changer l'heure de toutes les horloges qu'il croise afin de les mettre à l'heure de Paris, lieu où se trouve sa passante qu'il aimerait tant retrouver. Le sujet de départ me touche beaucoup, même si l'idée de changer l'heure prend des proportions un peu surréalistes, parce que c'est quelque chose que l'on a sans doute tous fait, consciemment ou non, faire quelque chose d'absurde afin de tenter de se rapprocher d'une personne qui n'a rien à voir avec nous, comme si en faisant ça le temps et l'espace allaient se modifier pour nous réunir.


Le héros n'est pas le seul personnage à tenter ces petits gestes absurdes, sa mère, récemment veuve, elle aussi tente tout pour faire revenir son défunt mari, calfeutrer les fenêtres, lui servir un repas, refuser de tuer un cafard qui pourrait être sa réincarnation et ceci au plus grand désarroi de son fils. Le film est d'ailleurs dédié au père du réalisateur disparu une décennie plus tôt, comme une manière de finir enfin son deuil et d'aller de l'avant, puisque le père disparu est retrouvé, loin, mais retrouvé, apaisé...


Ce qui me plaît fondamentalement dans ce cinéma là c'est le rapport totalement hallucinant de Tsai Ming-liang avec le temps (et pour le coup ça me donne envie de revoir du Ozu, du Weerasethakul qui ont aussi un rapport au temps assez particulier) puisqu'il laisse la scène se dérouler, inscrivant ainsi ses personnages dans un espace physique et temporel leur permettant d'exister et ceci sans qu'il ne disent rien, juste par leurs gestes, leurs regards, leur manière de se tenir, d'occuper l'espace. C'est profondément reposant, apaisant, comme ces poissons dans l'aquarium, de les voir vivre devant nos yeux et le temps sans jamais être impudique.


L'effet sur le spectateur n'est pas du tout le même si l'on voit la fille fouiller dans son sac en temps réel, en plan fixe, ou bien si l'on te met trois plans de 2s pour juste que tu comprennes qu'elle a fouillé dans son sac. Et parce que le film prend son temps, le temps de nous montrer, les scènes fonctionnent vraiment bien, même lorsqu'elles ont l'air anodines, parce que justement elles rappellent la trivialité de notre propre existence, on peut se projeter en eux, ils ne sont pas que des artifices de fictions, le rythme, les enjeux ne nous sont pas éloignés. Et surtout ça permet une blague assez drôle avec Jean-Pierre Léaud, regardé par le héros dans les 400 coups, se retrouvant sur un banc à côté de la passante et qui, après que la fille lui ait dit qu'elle cherchait un numéro dans son sac à main, peut se permettre de sortir un stylo, la longueur du plan le permettant, d'écrire son numéro et de le tendre à la fille avec un naturel certain tout en lui disant : "voilà mon numéro".


Avant de conclure, ce film possède l'une des scènes les plus improbables qu'il m'ait été donnée de voir. Un homme aux toilettes se promenant avec une pendule accrochée à sa bite... pourquoi ? je ne me l'explique pas.


Mais voilà, le film est vraiment beau, et même si j'ai été plus touché par Goodbye, Dragon Inn, il n'en reste pas moins un film où chaque plan transpire, dans la plus grande sobriété, la beauté.

Moizi
8
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le 7 déc. 2016

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Moizi

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