Europa
7.2
Europa

Film de Lars von Trier (1991)

Le film commence par une hypnose. Le narrateur nous amène doucement dans l'inconscient collectif, révélant ainsi une image enfouie de l'Europe. Cette image, peaufinée durant tout le film est fortement marquée par le traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale (nous nous trouvons en 1945, juste après la guerre). L'Europe est hantée par le spectre de la barbarie en même temps que brimée par l'autorité américaine. L'Europe apparait ainsi comme une notion historique. On s'identifie, par un tour de force du narrateur, au personnage principal. Nous voyons les choses à travers ses yeux. Il semble avoir peu de volonté propre, entièrement guidé par le narrateur. C'est un instrument, tout autant soumis à l'autorité du film que le spectateur.
L'image est très travaillée. Du noir et blanc essentiellement, parfois interrompu par de la couleur qui nous rend certaines scènes ainsi plus marquantes. Certaines scènes se détachent de l'arrière plan qui devient plat, semblable à un écran de cinéma. Cela nous rappelle que tout ceci n'est que fiction, car ce film a tendance à happer le spectateur. Ce procédé se répète souvent pour les scènes de violence comme pour jouer avec la catharsis. Ce procédé vient surtout signifier que notre personnage se présente comme un spectateur, lui aussi, de l'Europe qui avance sans qu'il ne puisse garder un quelconque contrôle, à l'image de cette histoire où tout s'emballe.
Pour signifier l'Europe, l'utilisation du train s'avère judicieuse. L'Europe est en mouvement, l'Europe se constitue des différentes identités comme un itinéraire joignant plusieurs gares de pays différents. Le train est le lieu de l'échange, de la circulation... L'Europe est une notion géographique mais aussi culturelle.
ATTENTION SPOILER
Quant à la scène finale : époustouflante ! La même voix hypnotique du narrateur tue le personnage principal dont nous nous détachons alors. Pour souligner que c'est bien l'autorité narrative et non le personnage lui même le responsable de la mort, le cadavre dérive hors du train par une très large ouverture, alors même que le personnage se noyait auparavant, cherchant en vain une sortie. Puis le film se finit sur une symbolisation de l'Europe. Le cadavre dérive vers l'océan. La lune se reflète sur l'eau où flotte le cadavre. N'étant pas certains de l'étymologie du mot "Europe", plusieurs thèses se confrontent. Selon l'étymologie sémitique, "Europe" viendrait de "ereb" : soir couchant, qui aurait aussi donné "arabe" et "Maghreb". Selon l'étymologie grecque, "Europe" viendrait de "eurôpé" qui signifie "femme au beau regard" et aussi "pleine lune". La lune s'avère dans les deux cas (et davantage dans le second) un symbole européen. Quant à la présence de l'eau, il faudrait rappeler pour cela le mythe d'Europe kidnappée par Zeus transformé en taureau sur une plage. L'Europe est un mythe de l'enlèvement, mais aussi du voyage et de l'inconnu, ce qui se retrouve dans ce final où le narrateur kidnappe la vie du personnage pour l'emmener on ne sait où, vers des rivages mystérieux.
Pour conclure, je dirais que ce film d'une grande intelligence est très riche d'analyses. C'est un cinéma intellectuel, quelque peu expérimental où la réalisation tend à se justifier. Le film n'est pas fait par hasard pour divertir. Il se demande comment filmer l'Europe en même temps qu'il s'exécute. A regarder !
King-Jo
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Bons films en noir et blanc, Merci médiathèque ! et Les meilleurs films de Lars von Trier

Créée

le 1 mai 2011

Critique lue 2.5K fois

28 j'aime

2 commentaires

King-Jo

Écrit par

Critique lue 2.5K fois

28
2

D'autres avis sur Europa

Europa
HugoLRD
10

La première merveille de Lars

Element of Crime, à la fois expérimental et mature, donnait le ton. Epidemic, encore plus expérimental, décevait un peu. Mais Europa, troisième film de Lars von Trier, arrive comme la preuve...

le 27 janv. 2014

22 j'aime

3

Europa
Zogarok
7

Le final de la trilogie "Europe" : entre ego-trip et Histoire romancée

En-dehors de l’intermède du Dogme 95 (dont Les Idiots est la pierre angulaire avec Festen de Virtenberg), Lars Von Trier s’affirme généralement comme un formaliste raffiné et expérimental, loin des...

le 24 nov. 2014

7 j'aime

Europa
Ravachol
9

Critique de Europa par Ravachol

J’ai eu la chance de voir ce film à sa sortie en 91, au cinéma donc. Dés la fin du prologue, j’ai pensé, voilà ce que j’attends du cinéma et rien d’autre. Un long travelling au-dessus d’une voie...

le 31 déc. 2014

6 j'aime

Du même critique

L'Étranger
King-Jo
4

Comment se sentir étranger dans un roman

Je me donne le droit de ne pas aimer l'Etranger. Une écriture bien trop épurée à mon goût, une écriture qui plonge vers le néant. Amateur d'une écriture dense et tortueuse, je reproche à l'Etranger...

le 20 mai 2011

72 j'aime

56

Les Hauts de Hurle-Vent
King-Jo
9

Emily Bronte hurle, et ce n'est pas pour du vent

J'avoue que je m'attendais, avant de lire ce chef d'oeuvre, à me retrouver face à un truc un peu girly avec une histoire d'amour plus ou moins possible et un flot continu de sentiments vivaces... Que...

le 1 janv. 2013

59 j'aime

42

Messina
King-Jo
10

Mais si, n'as-tu donc pas vu que c'est génial ?

Après un défouloir rock des meilleurs crus intitulé "J'accuse", à la pochette polémique à souhait, Saez revient plus fort que jamais avec ce triple album. Maturité est le maître mot de cette petite...

le 24 sept. 2012

41 j'aime

16