Quoi de plus opportun que ce fameux film de Mankiewicz en ces temps de récompenses notoires dans le petit monde du spectacle. En effet, c'est avec beaucoup de cynisme, de clairvoyance et de véracité que le réalisateur donne à voir aux spectateurs l'arrivisme et l'ambition maladive des jeunes femmes prêtes à tout pour devenir des stars. On peut avoir le sentiment qu'il s'agit là d'une dénonciation du machiavélisme des femmes. Cependant Mankiewicz touche probablement plus juste en voulant illustrer ce phénomène auprès des stars féminines, bien plus idolâtrées à l'époque que les hommes. De plus, la condition de la femme était encore celle de l'épouse modèle, discrète, bien sous tout rapport, soumise à l'homme. Le monde du spectacle offrait alors une liberté et une occasion, sans pareille, de briller en société. Eve montre des femmes qui savent user habilement de leurs charmes et abuser ainsi de la confiance des plus vulnérables. Celles-ci sont, sans aucun doute, promises à un grand avenir. Le geste de ces femmes acquiert une dimension sociale tandis que les hommes, tels que le critique DeWitt, incarnent à la fois le côté manipulateur, influent mais aussi pathétique.
Tout le cynisme du film se dégage principalement de ce personnage, nommé DeWitt. C'est lui qui tire les ficelles, qui dirige son entourage, à la manière d'un deus ex machina. Le récit débute et s'achève à travers sa propre perception et permet de teinter le propos de son point de vue, empreint d'arrogance, d'ironie et de lucidité.


Au milieu des multiples récits et intrigues imbriqués à la manière de poupées gigognes, se déploie une construction brillante autour du microcosme du théâtre. La peinture de ce dernier oscille entre le pathétique des hommes et femmes en constante représentation et l'humanité criante de ces individus craignant plus que tout d'affronter la réalité de la vie et l'anonymat. Le ton acerbe et pinçant permet au film de ne jamais tomber dans les travers du pathos.

Notons une scène tout à fait jubilatoire où apparaît la divine Marilyn Monroe : celle-ci cherche à tout prix à percer dans le monde du théâtre. Elle n'hésite pas à faire appel à ses charmes pour séduire un producteur. Ne parvenant pas à ses fins, elle finit par déclarer qu'il vaudrait mieux qu'elle se tourne du côté du cinéma. Il lui offrira probablement plus d'opportunités. Avant même la glorification qu'on lui connaît, Marilyn Monroe se voit étrangement rejetée ici. Faut-il y voir un flair incroyable chez Mankiewicz qui a su déceler en cette femme tout le potentiel inexploité ou tout simplement, une volonté de dénoncer le snobisme du Théâtre en nous exposant les débuts véritables de l'actrice ? Toujours est-il que ce clin d'oeil reste exceptionnel !

Je n'aurai qu'une chose à dire donc : Regardez Eve sans plus attendre, avant que la remise de prix du Meilleur rôle féminin ne soit divulgué, vous n'en apprécierez que davantage le faste, la magie et l'artifice du monde du spectacle.
Momodjah
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le 17 mai 2011

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Momodjah

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