La Bible est un sujet qui visiblement titille pas mal de cinéastes américains — entre ceux qui ont voulu traiter la vie et surtout la mort de Jésus, LA DERNIERE TENTATION DU CHRIST pour Scorsese ou LA PASSION DU CHRIST pour Mel Gibson, d’autres sont en revanche attirés par l’ancien testament sans doute pour l’aspect épique qu’il retranscrit. Les films de ce genre-là sont souvent casse gueule. Entre le scandale vous pendant au nez, chose que n’a d’ailleurs pas (su ou voulu) éviter EXODUS : GODS AND KINGS et du fait le fait que l’histoire a déjà été dite et redite à de si nombreuses reprises que vous avez de la chance si vous parvenez à tirer votre épingle du jeu.

Le scandale a avant tout été provoqué par les propos de l’acteur principal. Christian Bale était déjà connu pour ses monstrueuses colères sur les plateaux, pour ses pertes de poids assez phénoménales et sa réputation de fou furieux, maintenant on constate qu’il est également un peu maso et suicidaire sur les bords. D’accord, si on réfléchit, cela semble logique quand on connaît le bonhomme. Il s’est toujours taillé cette réputation d’un espèce de dingue limite psychotique qui s’imprègne tellement de ses rôles qu’on le croit, au bout du compte, schizophrène ou sociopathe. Toutefois, le comédien a balancé quelques réflexion à propos du film, de son personnage et, par extension, nous livre sa vision de la Bible. Entre autres, dans ce qu'il a pu dire, il évoque le fait qu'il entrevoit son personnage comme un schizophrène et un barbare. A une époque où il ne faut surtout pas rigoler avec les religions, ce n'était sans doute pas la meilleure stratégie pour la promotion du film.

Ajoutez au scandale l’autre difficulté de rajeunir un mythe vieux comme le monde. Il est ici fait le choix d’aborder le sujet d’une manière réaliste, un peu la grande mode du moment. Le réalisateur avait déjà tenté de le faire avec KINGDOM OF HEAVEN qui était un échec dans le sens où il plaçait seulement un personnage moderne dans une histoire supposément historique, ce qui finalement le faisait tomber dans de nombreux clichés classiques du cinéma hollywoodien. Idem avec GLADIATOR qui n’était pas réaliste pour un sou ! Depuis que Nolan à débarquer dans le paysage cinématographique, c’est devenu un peu la ligne d'Hollywood de reprendre un mythe tirant sur le fantastique pour en faire quelque chose d’hyper réaliste en dépit de tous les problèmes que cela pose. Si cela passait avec BATMAN BEGINS, en revanche dans le troisième le concept commençait à sérieusement s'effilocher. Sauf que cette mode du réalisme provoque forcément de gros soucis lorsque l'on essaie de faire passer les miracles de dieu pour des catastrophes naturelles...

Oui, non seulement vous enlevez tout l’aspect mystique et spectaculaire de la chose. La mer rouge s’écartant pendant la nuit, ni vu ni connu, ressemble à un foutu lac artificiel qu’on vide alors que lorsqu’elle se referme, elle adopte l’image que l’on connaît tous. Idem pour le Nil devenant un fleuve de sang, l’histoire des crocodiles devenant fous n’a ni queue ni tête et ne justifie pas grand chose d’ailleurs. Forcément, quand on essaie de plaire à tout le monde, on se prend les pieds dans le tapis. Malgré ses bonnes intentions, Ridley Scott n’est parvenu finalement qu’à décevoir tout le monde. Pas réaliste, encore moins crédible, il est de plus peu fidèle à la Bible. S’il avait voulu livrer une version vraiment réaliste, il aurait fallu choisir le dernier testament, ça aurait été un tantinet plus facile... Quoi que.

Vous allez vous dire que je l’ai trouvé pourri jusqu'à la moelle. Pas tant que ça. La relation entre Moïse et le Pharaon est plutôt bien traduite, Moïse ne devient pas un saint en un claquement de doigt, d’ailleurs ce n’est qu’à la fin qu’il s’assagit un peu. On reste au niveau du héros penchant du côté moderne, éternel défaut, mais cette fois-ci on a évité pas mal de clichés. Il y a tout de même encore des incohérences par ci par là. Sa relation avec sa femme, par exemple, on peut douter qu’à l’époque un homme demande l’avis à sa compagne avant de faire quoi que ce soit, encore moins qu’il la traite comme son égal. Faire de Moïse un non croyant est osé mais peu crédible surtout à cette époque. Les athées cela devait être sacrément rare. Tout comme on peut douter que Moïse ne soit pas trahi alors que le pharaon menace de tuer chaque jour une famille juive si on ne lui livre pas son ennemi. Surtout qu’au début du film, il est justement trahi par deux compatriotes qui révèlent sa véritable identité.

Il n’empêche qu’il y a, tout de même, en dépit des maladresses et quelques longueurs de bonnes choses. Tout n’est pas à jeter. Ce que j’ai trouvé de plus réussi, c’est le choix de visualiser Dieu en enfant. Il est vrai que le Dieu de l’ancien testament n’est pas un tendre, il punit les trahisons très sévèrement. C’est un Dieu qui punit plus qu’il ne protège d’ailleurs. Et la scène où Moïse juge justement Dieu et ses actes est plutôt audacieuse et bien vu, même si on doute, encore une fois, qu’un homme de l’époque dans un tel contexte aurait osé émettre un tel avis. Pourtant, ce qu’on peut saluer, c’est l’effort.

On a du mal à le voir au premier coup d'oeil, mais le Moïse décrit ici est un espèce de fou, un taré psychopathe et schizophrène. Quand il parle à Dieu, les autres le voient parler tout seul. Ce qu'il fait d'ailleurs quand Dieu refuse de lui répondre. Son mauvais caractère d'ailleurs influe dans ce sens. Face à Moïse furieux et menaçant, le pharaon apparaît presque comme plus humain et plus doux. Il affronte les épreuves avec plus de calme et de raison, et est davantage un bon père que Moïse qui abandonne quand même sa famille. A plusieurs reprises le réalisateur insinue que tout cela, les miracles, l’exode, Dieu, n’est peut-être que des hallucinations dues au coup reçu sur le crâne par son héros. Et ses actes donc, guidé par la main de dieu, peuvent être interprétés comme de la folie pure. D'ailleurs il a un côté terroriste, même si EXODUS : GODS AND KINGS ne va pas jusqu'à comparer Moïse aux talibans, il n'en demeure pas moins que ses actes sont loin d'être ceux d'un saint. Audacieux, et bénéficiant du talent de Ridley Scott à assurer le spectacle, on ne peut qu’apprécier l’épique course poursuite, la reconstitution de l’enfer où vivent les esclaves, les moments de combats réussis...

Pas dénué de bonnes intentions ni de bonnes idées, EXODUS : GODS AND KINGS a malheureusement quelques soucis. Imparfait, il s'égare un peu partout. Pourtant il réussit son pari. Rafraichissant le mythe, il l’éclaire sous une autre lumière et parvient finalement à livrer sa propre version, certes maladroite mais loin d’être celle qu’on s’attendait à voir. En fait, il est presque irrévérencieux, jusque dans son titre, "Gods", au pluriel, jusqu’au bout il remet en doute ce dieu supposer guider son héros. Une sorte de pied de nez ou simplement une réflexion plus large sur la croyance et ce qu’elle nous pousse à faire, une thématique curieusement très contemporaine.
Sophia
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le 6 févr. 2015

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