Pour une fois j’avais bien fait les choses en ayant visionné juste avant le très éclairant documentaire des soeurs Kuperberg « Douglas Fairbanks - Je suis une légende » (2019). De quoi mieux appréhender l’une des clés de lecture essentielles du film, à savoir ce décalage entre fiction et réalité, entre vie rêvée et vie subie. Après l’armée et ses ennuis, André (Patrick Dewaere) est de retour à Paris, encore plein d’illusions sur son avenir. Empruntant à son père projectionniste (John Berry) le chapeau de Zorro à la Douglas Fairbanks, il se croit armé pour rapidement trouver sa voie professionnelle, prêt à conquérir le monde… comme Douglas il rencontre même l’amour en la personne de Marie, pas Mary Pickford la star du muet à Hollywood, mais l’effrontée Marie (Miou-Miou), apprentie comédienne prête à lui donner sa chance. Lorsque Marie finit par questionner son metteur en scène (Jean-Michel Folon) pour savoir « qui c’était Douglas Fairbanks ? », elle réalisera la détresse et le désenchantement d’André qui malgré son charme et ses bagages ne parvient pas à trouver sa place, ni dans le couple ni dans le travail. « Douglas Fairbanks c’est le contraire… c’est un type qui se faisait jamais de mouron, il jouait les héros qui surmontaient tous les obstacles… ». Loin de pouvoir s’envoler sur un tapis volant avec sa belle (Douglas Fairbanks dans Le voleur de Bagdad, 1924), André se retrouve à descendre d’une grue accompagnée d’une poupée gonflable, n’épatant que ses seuls collègues de chantier…


Comme dit ailleurs, Dewaere est parfait dans ce rôle d’anti-héros, le rôle d’un type qui a tout pour réussir mais pour qui rien ne sera simple. Quelle force et quelle folie lui aura-t-il fallu pour camper un personnage qui devait faire tellement écho à ses tourments du moment ? Rétrospectivement, il est facile de considérer que Dewaere et Miou-Miou (qui venait de quitter Patrick Dewaere dans la vraie vie) se sont alors livrés à un jeu morbide. Malgré tout, cette mise en abyme de leur propre vie, cette irruption du réel dans la fiction, est aussi ce qui confère au film sa justesse. Les scènes partagées par Dewaere et Miou-Miou (oublions André et Marie), qu’elles soient fantasques, douces-amères ou déchirantes, sont tour à tour lumineuses ou bouleversantes. Le génie de Dewaere est souvent mis en avant, et y compris pour ce film certains trouvent Miou-Miou un peu trop effacée et lisse en comparaison, personnellement je ne le pense pas, je trouve qu’elle est ici à l’image de son alter ego, sa performance jonglant avec les émotions. L’ensemble du casting est d’ailleurs très réussi, avec Piccoli en homme rangé et cynique qui brouillera systématiquement les pistes (« Comment dirais-je…. », comme il se plait à le répéter plusieurs fois) face aux espoirs et illusions d’André, lui qui lui avait fait miroiter par le passé des promesses d’embauche.


La toile de fond de la fin des trente glorieuses et l’installation du chômage à grande échelle (voir aussi Thierry Lhermitte en jeune chômeur exaspéré dans la salle d’attente de l’ANPE) placent aussi ce film du côté des chroniques sociales, en forçant juste assez le trait pour que cela ne soit ni trop caricatural ni trop léger. Au final, ce fut pour moi une très belle découverte. Voulant me confronter à d’autres désenchantements que le mien, je savais qu’il devait y avoir là matière, et je n’ai pas été déçu ! Le message n’est pas très optimiste, mais pour qui recherche la grâce au risque de souffrir, vous devriez être ému.

Belledonne69
8
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le 15 nov. 2021

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