Un acteur, par des détournements subtils et l’appropriation de scènes qui lui parlent, parvient toujours à incarner un autre lui ressemblant comme un jumeau. Dans F comme Fairbanks, il est troublant de voir comment Patrick Dewaere a trouvé cette matière qui l’a façonné très tôt. Quelque part, le personnage du projectionniste, père d’André Fragman, est le prolongement de la mère de Patrick Dewaere ( actrice de seconde zone) qui l’a mis dans les coulisses de la comédie ( et par extension, Patrick Dewaere revit cela avec le gamin que fut André Fragman avec son chapeau de cow-boy à la projection comme un double dans une autre vie). Ce qu’il me semble a aussi raisonné chez l’acteur, c’est cette instabilité d’humeurs présente chez Fragman ( passant du rire aux larmes) et cette incapacité maladive à trouver sa place d’adulte ( André n’arrivant pas à trouver un premier emploi malgré un bagage enviable d’ingénieur confronté à Dewaere poursuivi par ses propres démons personnels-dont l’absence du père le fragilisa énormément) et la difficulté de préserver une sphère conjugale ( que Miou-Miou et l’acteur ne peuvent que jouer à la perfection car ils ont partagé la même intimité que leurs personnages). Maurice Dugowson, en dirigeant ce film à l’époque, n’avait peut-être pas tout le recul nécessaire pour concevoir à quel point Miou-Miou et Patrick Dewaere s’étaient identifiés à son contenu, Par contre, je pense qu’il a eu de sacrées intuitions en dirigeant les deux acteurs. Beaucoup de moments ( scènes de la barque et du trajet en voiture) semblent presque totalement improvisés et vous n’avez pas l’impression d’être dans des scènes jouées comme dans de vraies séquences cinématographiques. Le rendu n’en est que plus vivant et la réalité semble logiquement prendre le pas sur le jeu. C’est toujours aussi agréable de revoir fixé sur l’écran cette époque des années 70 et d’admettre que Maurice Dugowson l’a véritablement bien capté. Les intérieurs dans la collocation de Marie ou chez le commerçant ou André et son père font des courses et certains plans extérieurs dans des gares sont magnifiques. F comme Fairbanks fut donc un film total où Patrick Dewaere composa même des morceaux de musique pour la bande originale ( un genre d’investissement encore une fois ne devant rien au hasard car l’acteur revisitait à sa manière des sensations et des souvenirs de sa propre existence). Si je pense qu’il y a un film à voir dans la filmographie de Dewaere, c’est celui-ci car c’est à coup sûr son plus personnel, celui qu’il a voulu aboutir plus que tout autre. De plus, le réalisateur a donné des caméos de choix à des acteurs alors débutants comme Christian Clavier et Thierry Lhermitte quelques années avant qu’ils percent avec les Bronzés.Au niveau contenu du film, je ne peux que vous le conseiller car il évolue du rire au drame et permettent à ses acteurs principaux de pratiquer des registres discordants avec une grande maîtrise et une grande sincérité. De plus le découpage sans scènes gratuites et inutiles est manifeste et la scène finale reflète idéalement le cul de sac émotionnel du personnage de Dewaere préférant idéaliser sa romance avec Marie plutôt que de se fracasser à sa réalité douloureuse. Je suis content d’avoir pu voir F comme Fairbanks et ne peut que regretter qu’il ne passe pas vraiment à la télévision tant il pourrait recevoir l’adhésion d’une nouvelle génération de spectateurs pouvant concevoir que Patrick Dewaere fut un acteur à part et habité par un intense génie dramatique.

Specliseur
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le 28 juil. 2022

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