Le film en tant que fiction est déjà prenant, on ne va pas s'attarder sur la capacité d'Alfred à monter un suspense en mayonnaise.
Pour ne rien gâcher, Grace Kelly est un plaisir visuel de tous les instants.

Le film revêt un intérêt supplémentaire en tant que métaphore.
Si l'on considère que Jeffrey représente le peuple; que la fenêtre reprend le rôle des media dans la société et que la cour fermée est le reste du monde, on obtient une analyse grinçante de la société américaine des 50's et de la surveillance par maître Hitchcock.

Immobile depuis son fauteuil, Jeffrey n'a accès qu'à la fenêtre pour réelle distraction, d'où il ne perçoit que des bribes de vie de ses voisins. L'un d'entre eux a un comportement qu'il qualifie rapidement d'anormal et il le soupçonne d'avoir assassiné sa femme sans l'avoir vu en action: Jeffrey et à travers lui, le spectateur, est invité à compléter lui-même les maillons manquants avec sa propre logique telle que façonnée par le sens commun de sa société.

Dans un monde alors pénétré par la paranoïa du maccarthysme et de la Guerre Froide, difficile de passer à côté de la métaphore. A partir d'images fragmentées mais présentées comme des preuves, l'esprit tente de les raccorder en une histoire logique selon un point de vue interne. L'Amérique blessée regardant le reste du monde depuis un point de vue inamovible (d'où le huis clos) à travers l'explication partielle et limitée du monde servie par la fenêtre (= les media) ne peut qu'être interloquée par le comportement forcément étrange, anormal des autres: elle n'a pas toutes les clés, ni le recul, ni même toutes les images pour comprendre le comportement qu'elle observe avec inquiétude.

Cela ne te rappelle rien ?

Aller, un petit effort.



Une guerre ? Plusieurs, même. Près de l'Irak. Voilà tu y es. Guerre du Golfe, guerre de 2003 = guerres télévisuelles. Le monde est abreuvé d'images parfois montées de toutes pièces (cf parallèle avec Wag the Dog) qui ne sont pourtant que des bribes de réalité. On matraque avec une certaine représentation simplifiée d'un homme (au hasard, Saddam Hussein) ou d'une situation qui devient alors objectivement anormale, et la justification d'actes anti démocratiques est toute trouvée. C'est le principe de la surveillance.
Tout cela, Hitchcock l'avait analysé avant Baudrillard et la guerre du Golfe, et retranscrit sous forme de fiction non censurable dans le Hollywood sur écoutes de l'époque.

A moi les autres Hitchcock. Tous les autres.
Emphiris
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Coups de butoir, Culte, Cinématographie politique, Si tu ne le regardes pas en VO, autant te scier les oreilles avec une cuiller en bois et

Créée

le 29 nov. 2010

Critique lue 1.5K fois

19 j'aime

4 commentaires

Emphiris

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

19
4

D'autres avis sur Fenêtre sur cour

Fenêtre sur cour
Hypérion
10

And your love life ?

Rear Window, une des très grandes pellicules d'Alfred Hitchcok, personnellement ma préférée, où le maître du suspens parvient dans une maestria de mise en scène à faire du spectateur un voyeur...

le 11 déc. 2012

110 j'aime

17

Fenêtre sur cour
Sergent_Pepper
10

Vois, vis, deviens.

Souvent, le film parfait est intimidant : c’est un monument qui nous écrase de sa grandeur, un sommet dont on entreprend l’ascension avec l’appréhension du cinéphile qui se demande s’il sera à la...

le 19 juin 2013

104 j'aime

9

Fenêtre sur cour
Docteur_Jivago
9

Photo obsession

Aujourd'hui encore, Rear Window reste l'une des oeuvres les plus célèbres d'Alfred Hitchcock, voire même de l'histoire du cinéma et ce n'est pas pour rien. Le maître du suspense réalise un véritable...

le 23 août 2016

60 j'aime

7

Du même critique

Le Livre sans nom
Emphiris
7

Attention, spoil.

J'ai été happée, littéralement aspirée par ce bouquin. Le début, toute la première moitié, en fait, est magistrale. On se paume avec bonheur dans les entrelacs de l'intrigue et les histoires...

le 11 août 2010

33 j'aime

2

Fenêtre sur cour
Emphiris
10

Ce génie.

Le film en tant que fiction est déjà prenant, on ne va pas s'attarder sur la capacité d'Alfred à monter un suspense en mayonnaise. Pour ne rien gâcher, Grace Kelly est un plaisir visuel de tous les...

le 29 nov. 2010

19 j'aime

4

Mad Men
Emphiris
9

Din-Don Draper (de la farce)

- Toi, tu t'es encore foulée pour le titre. Telle que vous me lisez, je viens de conclure la série Mad Men. 4 saisons goulûment avalées en moins d'un mois. - Psst... on peut pas dire que tu sois en...

le 19 avr. 2011

17 j'aime

2