Le nom du fils
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le 27 janv. 2024
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Neuf ans après l’échec commercial et critique de Hacker, Michael Mann nous revient avec la fort attendue adaptation de Enzo Ferrari – The Man and the Machine de Brock Yates. Mais plutôt que d’en faire un biopic classique, il se concentre sur un épisode bien précis de la vie du célèbre pilote et entrepreneur italien, à savoir l’été 1957 au cours duquel il risque de perdre sa famille et son entreprise. Une année à la croisée des chemins où Enzo va tout miser sur le Mille Migla, une course de près de 1600 kilomètres sur les routes de la région pour permettre au cheval cabré de repartir au galop.
Un parti pris étonnant que Michael Mann justifie ainsi " La vie des Ferrari à ce moment-là, c’est un peu La traviata de Verdi !" Un moment de dramaturgie, intense, qui tranche avec l'image lisse que nous en avons ou avec la froideur des mécaniques automobiles. Un épisode qui lui permet de mettre en contraste la réussite professionnelle de Ferrari avec l’échec personnel d’Enzo, avec le drame familial qui s’articule autour d’une femme et d’une maîtresse, d’un enfant décédé et d’un autre caché parce que né d’une relation adultérine. Une série de doubles à laquelle s’ajoute l’entreprise capitaliste, divisée entre les voitures de course et celles destinées aux consommateurs, ces dernières ne servant qu’à financer les premières, sa véritable passion. C’est elle qui a fait sa notoriété, mais c’est aussi elle qui le mène au bord de la faillite : c’est l’existence entière du personnage qui oscille ainsi entre éléments de mort et de vie, entre Eros et Thanatos pourrait-on dire. Voilà les bases, en tout cas, de la grande tragédie souhaitée par Michael Mann...
Tragique, le sport automobile l’est assurément. Surtout à cette époque. Il s’agit d’un sport où la performance compte presque plus que la vie, où la mort d’un pilote est un fait divers oublié dès que son remplaçant s’assoit derrière le volant. Une discipline froide, métallique, mettant en jeu la vie à chaque départ. Un état d’esprit parfaitement retranscrit par Mann qui filme la course avec extase et qui filme la mort avec l’absurdité d’un corps volant comme une poupée de chiffon. Une impression de fragilité humaine se dégage même à travers le plan d’ensemble utilisé à ce moment-là. Nul doute à avoir, le style de Mann en a encore sous le capot et attire toujours notre regard, à l’instar de cette lumière rappelant celle en œuvre dans The Godfather. L'écrin est rutilant, certes, mais cela est-il suffisant pour faire vibrer son spectateur ? Hélas non, car la tragédie tant attendue est vite douchée par la tiédeur d’un biopic sage, formaté, dont le principal argument se limite à une banale histoire d’adultère.
Le problème vient en partie des acteurs, ceux qui sont censés transmettre les émotions. Passons sur le choix d’utiliser des acteurs états-uniens et espagnols pour interpréter des Italiens, puisque le procédé est courant dans ce type de production. Intéressons-nous plutôt à l’interprète principal, Adam Driver, le bien nommé, dont la qualité d’interprétation n’est plus à démontrer : il s’empare du rôle de manière minutieuse, consciencieuse, mais sans être capable de transmettre quelque chose à travers l’écran. La séquence du mausolée est en cela très significative : la conviction avec laquelle il délivre son monologue ne nous émeut pas. La séquence nous indiffère d’ailleurs rapidement. Le contraste est d’ailleurs saisissant avec Penélope Cruz qui, en peu de mots, transmet sa douleur et ses larmes muettes.
Mais le problème vient également du fait que la figure de Ferrari manque de contrepoids : contrairement à Heat, avec le flic et le criminel, ou Collateral, avec le chauffeur de taxi et le tueur, dans Ferrari il n’y a rien ni personne pour venir contrebalancer le cynisme du personnage. On reste donc à observer un individu antipathique pour lequel on peine à trouver de l’intérêt. Les passages dans son intimité, qui constituent pour moitié le film, ne sont intéressants que pour les rôles féminins, mais cela manque profondément de consistance, de chair, d’humanité. Il manque un peu de profondeur existentielle, comme dans Heat ou Revelations, qui met en lumière les fêlures de l’être. Hormis un ou deux moments, comme la séquence où Ferrari prend la mesure du désastre de Mille Miglia, il n’y a rien à retirer de ce biopic qui demeure lisse et incolore, loin de la grande tragédie annoncée...
Et finalement, on sort du film frustré avec la sensation de ne pas vraiment avoir perçu Enzo derrière la figure mythique de Ferrari : comme si on avait contemplé pendant plus de 2 heures une belle voiture sans apercevoir l’individu à son bord...
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le 8 mars 2024
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