Pour des raisons totalement obscures, Philippe Ramos est un cinéaste qui a échappé à l’auteure de ces lignes. Il faut dire que les projections de ses films restent très confidentielles dans nos lointaines contrées provinciales, seulement deux séances (11h, 21h30) par exemple, pour Fou d’Amour, dès cette première semaine d’exploitation.


Cette lacune sera vite réparée, car Philippe Ramos a montré avec Fou d’Amour qu’il est un cinéaste important dans le paysage français, inventif et esthète, minimaliste et baroque à la fois.


Fou d’Amour est un film inspiré de la vraie histoire de Guy Desnoyers, connue comme « l’affaire du curé d'Uruffe » qui a fait grand bruit à la fin des années 50 : victime de ces pratiques anciennes des grandes familles bourgeoises et pieuses qui consistent à «donner » un fils à l’Eglise et un autre à l’Armée, le jeune Desnoyers est voué par sa grand-mère à la prêtrise, alors que son goût est clairement pour les femmes. Quand le drame finit par arriver, il commet alors l’irréparable et tue sauvagement une jeune femme qu’il a rendue enceinte, ainsi que le fœtus viable de celle-ci.


Arrêté, jugé, et reconnu coupable à la majorité par le jury, le curé a cependant échappé à la peine de mort. Le Président de la Cour d'Assises aurait réuni les jurés pour leur demander de lui accorder les circonstances atténuantes. René Coty serait intervenu, afin de préserver les relations avec le Vatican. C'est le fils d'un ancien juré qui a révélé cette affaire à Jean-François Colisimo, un écrivain qui préparait un livre sur l'affaire. Ainsi Desnoyers a été emprisonné jusqu’en 1978, puis il se retire en Bretagne, et on perd sa trace jusqu'à son décès le 21 avril 2010.


Philippe Ramos est moins indulgent que le jury, car son film s’ouvre sur le curé en route vers le lieu de son exécution, et c’est depuis une boîte que sa tête coupée par la guillotine nous prend à témoin en nous racontant son histoire. Ce faisant, le cinéaste essaie de nous mettre du côté de son protagoniste, un homme qu’on va à apprendre à connaître et peut-être à comprendre tout au long du flash-back qu’il s’apprête à nous raconter.


Le pan de vie évoqué par la tête du curé se passe dans sa dernière paroisse. Un vrai vivier pour lui, d’autant plus qu’il monte avec délectation des plans d’une simplicité biblique pour approcher les mères de famille (création d’un club de football), et les filles de celles-ci (création d’un club de théâtre). C’est jubilatoire et éminemment viscéral, merveilleusement servi par un Melvil Poupaud au mieux de sa forme, un charme irrésistible sous son sourire innocent et goguenard à la fois. La jouissance du corps sans entrave relève presque du satyre en ce qui concerne le personnage principal. Mais la recherche des plaisirs sexuels et de l’orgasme sont également le but de ses maîtresses, de la vieillissante châtelaine (Dominique Blanc, admirable dans un rôle mélancolique de cougar), aux diverses femmes qui se résument en une seule chose pour leur lubrique curé, jusqu’à Rose (magnétique Diane Rouxel), celle par qui la salvation (l’amour) et la perte (la mort) arrivent. La nudité n’est presque jamais stylisée, mais offerte sans vulgarité au spectateur dans sa dimension érotique la plus basique et sans doute la plus vraie.


La componction et l’hypocrisie qu’on pouvait trouver dans ces milieux-là, en ces temps-là, sont en filigrane de l’histoire du curé, avec notamment cette savoureuse scène où le vicaire général et le curé plus âgé d’une paroisse voisine viennent faire une sorte d’inspection quand certaines rumeurs leur furent arrivées aux oreilles : dégoulinant de déni, ils représentent la parfaite vision satirique du monde ecclésiastique d’alors.


Malgré son côté extrêmement littéraire, la voix off, et les citations bibliques en pagaille qui semblent parfois justifier avec ironie les actions de ce curé sans nom, pour ne pas dire innommable, le film ne baisse jamais de régime, étant toujours sur la brèche d’une idée ou d’une autre, du moins dans sa première partie.


Quand le drame survient et que le film bascule dans un registre beaucoup plus sombre, il devient plus convenu et plus linéaire, comme si Philippe Ramos n’arrivait pas à s’intéresser autant à cette part du personnage, le fou meurtrier et sordide. Le rythme est en même temps lent et saccadé, au risque de perdre le spectateur. Malgré tout, l'intensité du jeu de Melvil Poupaud ne faiblit pas, et le rendu de la folie qu'il incarne, bien que conventionnel, est spectaculaire.


Fou d’amour est un film organique qui fait beaucoup penser à ceux de Bruno Dumont, notamment l’Humanité, Flandres ou encore Hors-Satan. Les scènes du « désert », les plus dispensables peut-être en terme de rythme, sont celles qui évoquent le plus la beauté aride de la nature, de l’homme, de la nature habitée par l’homme. Et de Dumont à Bresson, il n’y a qu’un pas que l’on n’hésitera pas à franchir pour parler de ce film...


Fou d’Amour, une bonne manière de se faufiler dans le cinéma de Philippe Ramos.


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Bea_Dls
8
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le 23 sept. 2015

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Bea Dls

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