Gatsby, qu'est-ce que c'est ? Dans n'importe quelle quatrième de couverture, dans n'importe quelle présentation de l'œuvre de Fitzgerald, dans n'importe quelle idée la plus basique qu'on puisse dire de Gatsby, c'est l'Amérique, c'est le début du XX°, c'est le printemps, c'est New York, c'est les villas luxueuses, c'est la fête, c'est même l'amour, c'est tout le champ lexical du spectacle. Je prépare mon bouclier anti-lapidation et non, je n'ai pas encore lu l'œuvre que je ne devrais à absolument pas tarder à lire. Mais peut-être est-ce mieux. Cela m'a permis de profiter du film en tant que simple spectateur, admirant le jeu de DiCaprio, dénigrant celui de Peter Parker, me surprenant à être charmé devant Daisy, à apprécier un film de 2h22 adaptant un des plus grands témoignages de l'Amérique et de l'époque qui m'a toujours fait frémir.
Mais pas de provocation inutile, dans le film, il y a tout Gatsby. En surface, peut-être, mais qu'importe ? La surface, c'est bien ce que montre le film. Il prend le parti, peut-être exagéré, de la fête, de la débauche, du rêve même au vu des flashbacks et des scènes improbables qui tirent vers le comique — les jardiniers qui viennent fleurir le jardin de de Nick donnant l'impression à Daisy qu'il a dévalisé une pépinière, et même le quiproquo qui s'en suit à la rencontre. Si la maison de Gatsby et que le look de tous les invités est outrancièrement improbable, et que le film est un réel spectacle qui en met plein les yeux, il n'exclut pas non plus la force et la passion des personnages. Je ne critiquerai pas le traitement des relations et la fable, cela est réservé au livre, mais j'ai compris la portée et les personnages de Gastby et de Daisy ont réussi à me toucher émotionnellement. Il y a toute une fresque esthétique et sociale dans le film, avec cette gigantesque mine de misère et de garagistes qui sépare la ville de New York et l'île de Nick et Gatsby, tout est montré, et le film est assez long pour aborder ce qui fait l'intérêt du livre — tel qu'on le connaît en tout cas. Tout le spectaculaire se voit bien évidemment dans le traitement des décors et des fêtes, mais là repose aussi le principal problème du point de vue esthétique.
Je pense qu'il est inutile de rappeler que les décors semblent tout droit sortis d'un film d'animation. Le manoir de Gatsby ressemble même au château de Disney et toutes les pièces sont d'une construction et d'une couleur terriblement uniforme. Cela rend l'univers bien moins crédible, bien moins consistant, et même un peu triste. L'esthétique fade et puérile vient se heurter à la mise en scène outrancière, et le mélange ne prend pas. Les acteurs jouent très efficacement (sauf Tobey Maguire bien sûr), le rythme est soutenu, et au final, l'adaptation est éminemment théâtrale. L'œuvre en elle-même ne demande qu'à l'être, et le cinéma s'est encore probablement trompé de support. Bien mieux réussi qu'Anna Karénine, certes, car plus cohérent et plus respectueux du spectateur, Gatsby reste un exercice qui rend un hommage à Fitzgerald et qui rend compte, pour moi, de la portée sociologique et relationnelle d'un des plus importants symboles de l'Amérique.