Voilà ce que la scientologie fait aux hommes perdus...

Ang Lee.
C’est juste pour ce nom que je me suis déplacé vers ce « Gemini Man. »
Mais j’ai été bête. J’aurais dû voir qu'il n'y avait qu'un seul nom qui figurait sur l’affiche (deux fois).
« Will Smith. »


Will Smith l’acteur. Will Smith le producteur. Will Smith l’omnipotent quoi qu'il arrive.
Même quand il n'apparait qu'au casting, tout le monde à Hollywood sait ce qu'implique le fait de tourner avec Will Smith. Comme Tom Cruise, son contrat verrouille son image. A un tel point que faire un film avec Will Smith se transforme très vite en film DE Will Smith et POUR Will Smith.


Il ne faut d’ailleurs pas attendre trop longtemps devant ce « Gemini Man » pour s’en rendre compte : dans ce film, Ang Lee est invisible tandis que Will Smith est partout, aussi bien symboliquement que littéralement. Et ça donne quoi un film de Will Smith ? Eh bien ça donne la même chose que « Hancock », « Karate Kid » ou bien encore « After Earth » : un film lisse où le Smith à l’écran incarne une forme de perfection insipide dictée par des idéaux scientologistes qui font de lui un être discipliné, désintéressé, désincarné. Un Smith qui permettra toujours, à la fin, de laisser s’exprimer la quintessence des hiérarchies naturelles au détriment des hiérarchies artificielles et usurpées.


Et au cas où si la chose n’avait pas été claire dans ses précédents films. Ici on se retrouve donc avec deux Smith pour le prix d’un. L’occasion d’expliquer en long en large et en travers ce qui fait la vraie nature du Smith. Dans ce film, le Smith est supérieur par nature. Il l’est dans ses gênes et non au travers de son éducation. Son talent est tellement inscrit dans sa chair qu’il suffit de le cloner pour qu’un nouveau messie apparaisse sur Terre. Et on aura beau les souiller avec des faux pères (incarné ici par Clive Owen), avec des éducations qui vont essayer de les soumettre à des autorités fausses et arbitraires, la nature profonde des Smith fera qu’ils se rebelleront toujours. L’original comme le clone sentent en eux ce déséquilibre qui persiste dans l’ordre naturel des choses. Ils ont beau avoir tenté de se soumettre aux fausses valeurs inculquées par ce monde décadent, leur esprit a toujours résisté, rongé par le sentiment que tout cela n’était pas juste. D’ailleurs, ni l’original ni le clone ne sont jamais parvenus à se souiller face aux pratiques pourtant tolérées et valorisées par les fausses autorités. Ils n’ont jamais cédé à l’appel de la fortune. Ils sont restés vierges l’un comme l’autre en attendant de trouver la femme qui sera digne d’être la mère de leurs enfants. Ils ont su rester justes. Ils ont su rester sensibles à l’injustice de leur monde et de ce que celui-ci les forçaient à faire. Ils étaient trop purs pour être de bons soldats. Ils étaient trop « conscients »…


Aussi, cet énième clone de la Bible scientologiste selon Willard qu’est « Gemini Man » se conclut-il comme n’importe lequel de ses autres prédécesseurs.


Encore une fois, la paix du héros est trouvée dès que les hiérarchies naturelles se sont émancipées des hiérarchies factices. Et ce retour à la hiérarchie de nature prend – une fois de plus – la forme d’un accomplissement de chacun en fonction de la place qu’il y occupe. Ainsi le vieux Smith sera le père. Le jeune Smith sera le fils. Le premier, devenu sage, sera le maître. Le second, devenu conscient de la véritable nature de son trouble et de sa faiblesse, sera le disciple.


Encore et toujours le même mantra asséné au milieu d’un film insipide au possible.


Mais bon, au moins Will Smith montre-t-il qu’au-delà d’être un prophète, il est aussi un cinéaste cohérent. La forme a en effet le mérite d’être pertinente au regard du fond. L’image est lisse et figée, souvent synthétique, animée par un scénario tellement obnubilé par sa volonté de mettre en valeur sa figure christique qu’en retour il met des plombes à avancer les éléments pourtant faméliques et convenus de son intrigue.


Ainsi faudra-t-il attendre 40 minutes pour découvrir pour la première fois que Will Smith a un double. Puis 40 minutes supplémentaires pour découvrir qu’en fait ce double n’est pas son fils, mais son clone. Bref, une heure et vingt minutes d’un suspense insoutenable pour nous révéler le seul pitch du film.


Pour moi, dire cela, c’est déjà dire beaucoup de choses sur ce qu’est ce « Gemini Man ».


En somme – et à bien tout prendre – ce qui résume le mieux ce film reste encore ce double numérisé de Will Smith. Certes le lissage numérique est techniquement propre et le résultat final ne jure pas face à l’original. Mais d’un autre côté on se rend vite compte qu’une bonne partie de ce prodige tient surtout au fait que l’original est tout aussi lisse et factice que la copie. Bref, à vouloir cloner du vent, Will Smith ne fait qu’accroitre l’immense courant d’air intellectuel et artistique que constitue sa contribution au cinéma américain et mondial. Et ç’en est arrivé à un tel point que ça ne m’en désole même plus. Je constate juste, lucide, à travers l’art, ce que l'idéal scientologiste fait aux hommes perdus…

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le 3 oct. 2019

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