Les archives James Bond, dossier 3: Un Bond en avant

Quotient James Bondien: 7,92
(décomposé comme suit:)


BO: 8/10


Si John Barry ne parvient pas complètement à atteindre le niveau de magnificence de Bons Baisers de Russie (par la variété des thèmes forts, entre autres), on reste clairement dans l'âge d'or absolu de la franchise, qui courra au moins jusqu'Au service secret de sa Majesté. Le compositeur est en pleine possession de ses moyens et a définitivement pris ses marques dans l'univers Bondien, qui devient un prolongement de ses fulgurances esthétiques. La série s'appuie désormais sur trois piliers: les romans de Fleming, l'interprétation de Connery, et la musique de Barry.


Titre générique: 9/10
Un titre légendaire et iconique qui ne dut sa survie qu'au fait qu'il fut enregistré au dernier moment. En effet Harry Saltzman la déteste quand il l'entend pour la première fois et demande à tout refaire. Mais la date butoir de l'avant-première est trop proche et recommencer est impossible. Le reste appartient à la postérité, selon la formule consacrée, et John Barry s'est servi de cet épisode pour toujours enregistrer son single au dernier moment, pour éviter la frustration de voir son travail effacé sur un coup de tête (plus de détails sur l'ensemble de la B.O. dans la partie post-production).


Séquence pré-générique: 7/10

Le concept se développe après "l'accident" de Bons baisers de Russie et on place déjà quelques scènes devenues inoubliables pour les amateurs de la saga: le canard sur la tête, le smoking sous la combinaison et le ventilateur dans la baignoire. Assez en tout cas pour établir définitivement ce moment parmi les passages obligés d'un James Bond.


Générique: 10/10
C'est encore Brownjohn qui s'y colle et il magnifie l'idée du film précédent en l'adaptant parfaitement au thème de Goldfinger, et en remplaçant un simple lettrage par des scènes du film. La barre est infiniment haute, et il faudra désormais essayer de se maintenir aussi proche que possible de ce nirvana visuel.


James Bond Girls: 9/10
Parce que Shirley Eaton nue, dorée et morte. Parce que Honor Blackman qui inaugure la série des Chapeau Melon's girls qui passent du coup MI5 aux MI6 ! Elle devance en cela Diana Rigg, Joanna Lumley (et même Patrick Macnee). Avant bien, sûr, que Sean Connery ne fasse une apparition dans Chapeau Melon le film. Et elle est bien la première à se montrer l'égale de Bond, pratiquant le judo et en étant pilote d'avion. Elle inaugure en cela la James Bond girl forte et déterminée, possédant son propre agenda.


Méchant(s): 8/10

Auric Goldfinger, vilain adipeux et cupide, doté d’un plan original et ambitieux, est évidement entré dans les annales par ses répliques cinglantes («No, Mr. Bond, I expect you to die ! ») et son sidekick monumental aussi marquant par son mutisme que l’originalité de son arme. Dans ce domaine comme tant d’autres, Goldfinger place la barre si haute qu’il sera souvent difficile de se mettre au niveau par la suite.


Cascades: 5/10
Le parent pauvre de ce film-étalon, qui ne propose que trop peu de moment marquant dans ce domaine. Voir…aucun.


Scénar: 7/10

Un petit crève-cœur dans la mesure où il aurait pu être lui aussi un modèle du genre, mais rate l'excellence pour au moins deux raisons. D'abord par sa frustrante propension à proposer quelques ilots d'incohérences gênantes au milieu d'une mer de petits bonheurs (Comment Goldfinger peint-il la pauvre Jill dans une chambre d'hôtel ? Pourquoi invite-t-il tous les mafieux américains pour leur exposer un plan qui, de toute façon, ne leur sera pas accessible ? Pourquoi accompagner Solo jusqu'à une casse pour lui réserver au final le même sort que ses collègues ? Etc etc…). Ensuite à cause d'un ventre mou étrange, qui fait de Bond un spectateur désarmé par une situation qui le dépasse (des Alpes jusqu'aux dernières minutes du film, en gros).


Décors: 8/10

Au moins deux endroits remarquables permettent au film de contribuer à l'émerveillement que provoqua le film en 1964. Le repère de Goldfinger, tout en boiseries inclinées et en éléments pivotants d'abord, et surtout l'intérieur de Fort Knox, que Ken Adam et Peter Lamont ont voulu comme une cathédrale d'or. Un endroit si réussi qu'il leur fut maintes fois demandé comment ils avaient pu avoir accès aux plans de la banque la plus secrète du monde.


Mise en scène: 7/10
Guy Hamilton délivre une copie plus sage en termes de cadrage mais pourtant aussi dynamique dans les moments d'action que ce que proposait Terrence Young, et on sent que le travail de Peter Hunt au montage a été sans aucun doute beaucoup plus traditionnel et moins décisif. Un travail propre qui lui permettra de revenir plusieurs fois aux manettes d'un Bond.


Gadgets: 10/10
Si l'Aston Martin n'est pas le gadget ultime (au point d'être toujours à l'honneur 58 ans plus tard), plus aucun gadget ne le sera.


Interprétation: 7/10
Même s'il est doublé de A à Z, Gert Fröbe livre une prestation physique mémorable, tout comme le fait Harold Sakata dans un autre registre. Connery est manifestement complètement à l'aise dans son rôle, et Honor Blackman prend un plaisir visible dans son interprétation. Au fond, même Shirley Eaton livre une partition mémorable malgré de très courtes secondes à l'écran.


JAMES BOND ROUTINE:


- Drague: Deux filles charmées au compteur, ça devient une douce habitude. Si Jill était une cible plutôt facile à atteindre (elle s'ennuie avec son patapouf de patron), la performance réussie avec Pussy Galore est bien plus admirable, puisqu'elle s'est elle-même proclamée immunisée contre ce genre d'assaut. Disons que James a déployé une arme redoutable (et redondante): lui permettre d'ouvrir les yeux sur les conséquences des actes de son boss et lui permettre de tomber en un seul basculement dans ses bras et du côté du bien.
Notons également qu'il fait choux blanc (mais sans avoir eu le temps de bien faire, non plus) avec la sœur de Jill, Tilly.


- Plus loin que le bisou ? Avec Jill, il n'a pas le temps. La pauvrinette.



- Bravoure: Se faire capturer ? Non, pas franchement héroïque. Tricher au golf ? Pas plus. Non, vraiment, pas cette fois.

- Collègues présents: On évoque 008 dans le brief avec M. C'est tout.



- Scène de Casino ? Pas la moindre.

- My name is Bond, James Bond: Sur le balcon de l'hôtel Fontainebleau, parfait. Un deuxième se lance avec Tilly, mais est interrompu.


- Shaken, not stirred: Dans l'avion. Le seul aussi pur, en tout cas, de la série Sean Connery.


- Séquence Q: On le verra plus bas: la première vraie séquence, se concluant par un parfait "je ne plaisante jamais avec mon travail, 007".


- Changement de personnel au MI6: Au MI6, les trois rôles sont désormais solidement campés (M, Monneypenny, Q). C'est cette fois Felix Leiter qui change d'acteur. C'est Cec Linder qui s'y colle.


- Comment le méchant se rate pour éliminer Bond: Goldfinger est d'abord un poil naïf avec Bond qui lui lâche le nom de son opération, ce qui suffit à le faire détacher de la fameuse table au laser. Il y a aussi cette bête idée de l'attacher à la bombe dans Fort Knox. Et puis, il y a cette looooongue détention dans la prison de son haras au Kentucky. Décidément, il va falloir proposer la formation "une balle dans la tête à la première occasion" à tous ces méchants.


- Le même méchant tue-t-il un de ses sidekicks ? Oui: Mr Ling, le spécialiste chinois de la bombe. Il y passe pour donner le change, mais sent bien qu'Auric y prend un certain plaisir.


- Nombre d'ennemis tués au cours du film: 8. On reste dans la moyenne des deux films précédents.


- Punchline drolatique après avoir éliminé un adversaire ? "Shocking. positively shocking". Encore un jeu de mot qui passe mal avec la traduction française (le shock ayant une connotation électrique en anglais)


- Un millésime demandé ? Le Don Perignon 63 est évoqué. James semble assez étriqué dans sa carte des vins.



- Compte à rebours ? Le meilleur d'entre tous Celui qui se termine à 0:07. On ne pouvait évidemment pas le refaire à chaque fois par la suite. C'est là, et il faut en profiter.


- Véhicules pilotés: ZE Aston Martin DB5… et une combi de plongée.



- Pays visités: Mexique, USA, Suisse.



- Lieu du duel final: Une banque, un avion.


- Final à deux dans une embarcation perdue en mer ? Non: sur une pelouse, couverts par une toile de parachute.


PRE-PRODUCTION
 
C’est le désormais inévitable Richard Maibaum qui se colle à l’adaptation de Goldfinger pendant le tournage de Bons baisers de Russie. Dès sa première version, il pointe les défauts du roman (au premier rang desquels un méchant qui reste aux portes de Fort Knox alors qu’il voulait dérober l‘or, tâche quasi impossible comme le fera d’ailleurs remarquer le scénariste par la bouche de Bond). La première version est proposée dès mai 63.
Berkely Mather, qui avait travaillé sur Dr. No développe cette première mouture  et propose un certain nombre d’idées qui ne seront pas retenues, comme celle d’une Pussy Galore qui entreprend une danse érotique peinte en or pour les collègues vilains de Goldfinger. Quand la pré-production proprement dite débute, il est rapidement évident que Terrence Young, réalisateur des deux premiers volets de la série Bond ne sera pas de la partie, ne pouvant trouver un accord financier avec les producteurs Harry Saltzman et Harry B. Broccoli.
Il est d’ailleurs très amusant de tomber sur l’interview de Young à propos du personnage de James Bond, qu’il donne précisément à cette époque, qualifiant le héros de débile mental fasciste, quand on sait qu’il rempilera finalement pour le quatrième épisode.
C’est donc Guy Hamilton qui reprend les rênes de la réalisation, proposition qu’il avait poliment décliné pour Dr. No, on s’en souvient. Aussitôt arrivé, il s’attelle à la révision du scénario et en résout la plupart des incohérences flagrantes (on verra qu’il en subsistera quelques-unes), contribuant à rendre le méchant plus intelligent, doté d’un plan plus machiavélique et potentiellement efficace.
 
Le casting constitue un moment désormais primordial pour parvenir à réussir le James Bond le plus réussi et le plus mémorable à date. Broccoli et Saltzman ont assez logiquement investi près du triple de Dr. No pour le budget initial de Goldfinger (ce qui, avec l’équivalent de 3 millions de dollars, reste quelque chose de parfaitement ridicule par rapport à ce qui va se pratiquer par la suite) et, encore moins que pour les épisodes précédents, aucune erreur ne doit être commise à chacune des étapes de développement de la production.
C’est ainsi que pour le choix d’Auric Goldfinger, plusieurs acteurs sont passés en revue et rejetés (les essais de Theodore Bikel ou Titos Vandis sont encore visibles dans le bonus des différentes éditions DVD et Blu-ray du film). C’est la même chose pour Jill Masterson, et on se retrouve ainsi fin décembre sans aucun rôle important casté, à moins de trois mois du début du tournage.


Pendant qu’on patine pour trouver les bons acteurs, Paul Dehn écrit une troisième version (toujours en décembre 63), qui, si elle n’est pas encore tout à fait définitive, propose déjà la presque totalité des répliques cinglantes qui ont entre autres contribué au succès du film. Maibaun peaufine un peu l’ensemble, trouvant encore le ton général trop léger et fantaisiste. Il enlève quelques gags, et remplace le chien mort que Bond porte sur la tête en début de film par un alligator ou un requin (idées qui seront reprises dans des films ultérieurs). Avant que l'animal final choisi ne devienne un cormoran. Début 64, accompagné de Cubby Broccoli, il rejoint Connery qui est en train de terminer Marnie avec Hitchcock, pour lui soumettre le scénario, pour lequel l’acteur apporte toute une série de suggestions, ce qui confirme sa plus grande implication dans le rôle. Il est d’accord avec le changement de ton que préconise Maibaum, préférant quelque chose de plus sérieux avec des pointes d‘ironies.
On le voit bien, la tentation d’aller vers quelque chose de plus parodique était déjà présent dès 64. La version définitive du script est donc bouclée en février, alors que quelques plans ont déjà été tournés aux Etats-Unis (même si le tournage principal débute en mars).
 
Entre-temps, Honor Blackman s’impose pour incarner Pussy Galore, répondant parfaitement aux indications du rôle. La troisième saison des Avengers (Chapeau melon et bottes de cuir en français dans le texte) prend fin peu de temps avant le début du tournage, et c’est une excellente façon de tourner la page pour elle, une apparition dans un Bond constituant un joli bon en avant pour sa carrière.
Broccoli, bluffé par la performance de Gert Fröbe dans ça s’est passé en plein jour (1958) dans lequel il interprète un pédophile, veut absolument recruter cet acteur qui peut passer d’amusant à inquiétant en une seconde. Broccoli s’est renseigné auprès de l’agent de l’acteur allemand, qui l’a rassuré : Gert parle bien entendu parfaitement anglais.
 
Juste avant le début officiel du véritable tournage, l’équipe de production passe quelque temps aux États-Unis, pour capturer un maximum de détails extérieurs typiquement américains (c’est ainsi que le KFC qui apparait derrière Felix Leiter n’a rien d’un placement de produits, mais est simplement le fruit d’une volonté de faire couleur locale), avant de tourner tous les plans de l’hôtel Fontainebleau qui sert de décors à la première rencontre entre Bond et Goldfinger.
Détail amusant : pour obtenir quelques plans de la piscine sans la cohorte de retraités qui garnissent traditionnellement l’endroit, la production annonce un tournage à 17h, et profitent de l’heure précédente, où toutes ces dames sont parties se pomponner, pour agrémenter le plan d’eau de jeunes gens préalablement sélectionnés, et tourner rapidement.
Ne reste plus qu’à effectuer un repérage final autour de Fort Knox, dans lequel, pas plus que le président lui-même évidemment, ils ne peuvent pénétrer. Ce qui leur donne alors l’idée que, l’endroit étant interdit et inconnu du grand public, ils peuvent bien imaginer ce qu’ils veulent pour l’intérieur, personne ne pourra leur dire qu’ils se sont trompés !
 
TOURNAGE
 
Les 10 premiers jours se font sans Sean Connery, qui n’a pas complètement bouclé Pas de printemps pour Marnie. Il débarquera d’ailleurs sur le plateau sans jour de pause.
Pour la scène de pré-générique, l’acteur qui devait jouer le méchant qui finit électrocuté dans la baignoire ne se présente pas sur le plateau, s’étant fait coincer la nuit précédente par la police, au cours d’un cambriolage. Alf Joint, cascadeur de métier, est choisi pour le remplacer à pied levé, entre autres parce que ses pommettes saillantes peuvent plus facilement le faire passer pour un mexicain. Tout cascadeur qu’il soit, il est brûlé au deuxième degré dans la baignoire, quand un câble s’enroule autour de sa jambe au moment où les étincelles crépitent. Les risques du métier.
 
Quand Gert Fröbe débarque sur le plateau, un problème de taille se pose dès les premières secondes. Passé le « Bonjour, comment allez-vous ?», de circonstance, Gert ne parle manifestement pas un mot d’anglais. Les répliques consciencieusement apprises phonétiquement sonnent de manière affreuse, en plus d’être horriblement lentes. Guy Hamilton prend une décision immédiate : il demande à l’acteur de réciter ses lignes de la manière la plus rapide possible, au détriment du sens, et se met immédiatement en quête d’un acteur qui sera sa doublure voix, en postsynchronisation. C’est donc Michael Collins qu’on entend dans la version originale du film.
 
Plusieurs moments iconiques du film méritent leurs anecdotes, parfois aussi fameuses que le résultat à l’écran.
C’est par exemple un chalumeau à acétylène qui permet de découper la table en or dans la scène du laser entre les jambes de Bond. Pour se faire, Bert Luxford a passé de longues heures coincé sous la table pour s’assurer que la tôle en laiton couverte de plomb réagisse sans surprise, et assurer un minimum de confort moral à Connery, qui sautera de nombreuses fois hors de la table, la température devenant légèrement intolérable sous ses précieuses fesses.
La fausse peinture dorée (en fait une sorte de pâte) a demandé de nombreuses semaines de préparation pour être à la fois visuellement acceptable, et pouvoir s’appliquer à froid sans faire de bulles sous la chaleur des projecteurs. Shirley Eaton ne sera maquillée que sur le dos de son corps, son intimité étant préservée par deux cônes sur le bout des seins et un bikini qui sera camouflé derrière un coussin au premier plan au cours du plan célèbre. Guy Hamilton se débrouillant pour réaliser le shooting le plus rapidement possible.


Le moment où Bond se rase dans l’avion de Pussy aurait pu être le premier moment de la saga comportant un placement de produit. Saltzman avait passé un accord avec Gillette en prévision de la scène, mais Hamilton trouve la chose si gênante qu’il fait autoritairement tout virer sans prévenir son producteur.
Les scènes de golf laisseront de profondes traces dans les habitudes de Sean Connery, qui sera dévoré par la passion du jeu pour de longues années. Facteur aggravant: le tournage se fait à Stroke Page, un club dont la mitoyenneté avec les studios Pinewood provoqueront de fréquentes absences de l’acteur pendant le tournage des films suivants, surtout quand on osait lui demander d’aller attendre dans sa loge.
 
Honor Blackman s’amuse beaucoup quand on lui demande si le tournage n’est pas physiquement trop difficile, alors qu’elle trouve justement que les bottes de foins sont autrement confortables que les sols en ciment qu’elle avait l’habitude d’affronter avec Chapeau Melon. Elle est également ravie de voir que la version du roman, qu’elle trouvait parfaitement ridicule, qui faisait basculer son personnage vers l’hétérosexualité à la suite de sa rencontre avec Bond, soit balayée vers quelque chose d’à la fois plus discret et plus crédible.
 
Des problèmes inédits se posent quand il faut considérer la continuité des scènes, tournées des deux côtés de l’Atlantique. Par exemple, quand la voiture de Solo est broyée aux États-Unis, il faut retrouver une compression équivalente quand le cube est déposé sur la voiture qui doit l’emmener, dans le plan tourné ensuite dans la perfide Albion. Comme il n’existe pas de machine équivalente en Angleterre, on va s’amuser à souder six blocs différents pour retrouver un volume comparable. C’est ballot.
 
Ken Adam, le décorateur fou de Dr. No est de retour dans l’équipe après son faux-bond de Bons baisers… (et ses infidélités avec Kubrick). Il s’adjoint les services de Peter Lamont, qui, après une période de collaboration, le remplacera quelques années plus tard au poste de chef décorateur de la série. Ce dernier conçoit une bonne partie du design de l’intérieur de Fort Knox, et pense se faire virer quand il annonce le coût d’un tel plateau. Le montant de 56000 livres laisse Broccoli et Saltzman, ainsi que Ken Adam et Guy Hamilton, de marbre. Adam indique quelques éléments à éliminer, et la conception peut être lancée dans la foulée.
Pour l’extérieur, on habille un parc voisin de Pinewood avec des rouleaux de pelouse, des arbres plantés et une façade factice. Ce genre de mise en place imposante commence à faire comprendre à chacun qu’une marche vient d’être gravie, et que la franchise change (définitivement ?) de braquet.
 
L’armée de soldats coréens pose à son tour un problème à la production qui ne dispose pas d’un tel quota d’acteurs étrangers. Il faut donc maquiller des cascadeurs locaux pour donner le change.
 
La chorégraphie du combat final entre Bond et Oddjob est pensée et mise au point sur le plateau, et quelque chose dans sa préparation ne convainc ni Hamilton, ni Connery, ni même Bob Simmons le doubleur de l’acteur écossais. Ensemble, ils trouvent l’idée du chapeau coincé entre les barres, ce qui, en plus d’être spectaculaire et mémorable, ne sera pas sans conséquence pour la suite des aventures du héros (voir la section causerie au coin, du feu).
Cette fois encore, le tournage n’est pas sans dommages pour l’acteur japonais qui croule sous les étincelles et les arcs électriques (une technique décidément mal maitrisée, qui emploie en l’occurrence du titane), attendant stoïquement que le réalisateur hurle « coupez !», quand ce dernier est si fasciné par ce qu’il voit qu’il en oublie de mettre fin au plan. Harold Sakata étant catcheur de profession, il est donc assez dur au mal.
 
Goldfinger est aussi le premier film de la série où Desmond Llewelyn incarne un Q digne de ce nom, dans une scène qui lance pleinement son personnage. Sa première impulsion est de camper un scientifique forcément admiratif et révérencieux envers un si célèbre membre de son service, mais Hamilton le convainc du contraire : il lui explique à quel point il doit mépriser celui qui détruit le fruit de ses si longues recherches. L’idée est même renforcée quand on décide d’ajouter une explication préalable au siège éjectable (Broccoli ne veut pas que la scène ou le soldat se volatilise dans les airs arrive sans que l’on ait pu anticiper le moment. Il tient à l’effet peau de banane). C’est dons dans ce rajout de dernière minute que Q a l’occasion de prononcer un célèbre « je ne plaisante jamais avec mon travail, 007 » qui lance pleinement l‘historique des relations compliquées entre le scientifique et l’espion.
 
Un autre morceau de choix se présente avec la fameuse Aston Martin, qui apparait bien dans le roman de Fleming. Ken Adam commence à pratiquer une série de tests sur sa vieille Jaguar cabossée qu’il compte changer prochainement. Il s’amuse dessus avec John Stears des effets spéciaux (celui qui avait sauvé la vie de Terrence Young sur le tournage précédent…). Hamilton apporte sa petite pierre à l’édifice en proposant la plaque d’immatriculation amovible, idée que lui a inspiré la pile de contraventions qu’il doit régulièrement payer à la suite de ses stationnements un peu trop libres dans le centre-ville de Londres.
L’étape suivante consiste à charmer le patron de la concession Aston Martin pour le prêt d’un DB5, encore au stade de prototype. Les négociations sont âpres, mais pour la première et dernière fois : les ventes de la marque augmentant de plus de 60% dans les mois qui suivent la sortie du film, les accords suivants sont beaucoup plus simples à trouver. Pour autant, le modèle est très difficile à modifier, tous les espaces étant déjà fort occupés.
 
C’est Harry Saltzman, sur le plateau, qui a l’inspiration de l’arrêt du compte à rebours à 0:07. Une bonne idée de plus.
Quand Sean Connery tourne sa dernière scène le 21 juillet (la mort de Tilly dans les bois) il reste 77 scènes à tourner, sur les 520 du découpage initial. L’avant-première étant programmée le 17 septembre, on embauche du personnel en extra pour aider à la post-production.


Juste avant, la production s’était envolée pour le Kentucky afin de réaliser les derniers plans autour de Fort Knox, qui sera survolé d’un peu trop près au goût des autorités militaires du secteur. Pourtant, ces mêmes militaires se prêteront au jeu des soldats qui s’effondrent (un peu rapidement, peut-être) après le passage des avions du Pussy Galore flying circus. Le caporal réquisitionné se prête au jeu avec son escadron (qui se promène de lieu en lieu pour répéter les mêmes gestes) contre un billet symbolique et quelques bières (la rémunération des troupes étant interdite).
Notons que pour la première fois, le beau-fils de Cubby Broccoli, Michael G. Wilson, se déplace à cette occasion pour aider à la production, pendant ses vacances étudiantes. Il sera plus tard le futur producteur principal de la série, avec sa belle-sœur Barbara.
 
Quand Guy Hamilton en a définitivement terminé avec son tournage, le 5 août, il ne peut deviner qu’une semaine plus tard, le monde allait apprendre la mort de Ian Fleming, le père de James Bond.


POST-PRODUCTION


Peter Hunt monte le film dans une précipitation qui semble devenir coutumière. Hamilton jugera d'ailleurs que tout le milieu du film aurait gagné à être retravaillé pour gagner en dynamisme, mais on n’a pas le temps de revenir sur le résultat obtenu dans l'urgence.


Ce même Hamilton fait écouter Mack the knife à John Barry pour trouver l'inspiration du single. Barry cherche à composer une chanson proposant de forts contrastes. Shirley Bassey l'interprète en regardant le générique sur grand écran, et passe une nuit complète a refaire prise sur prise, selon les indication de Guy Hamilton ou John Barry. Dans la dernière tentative, qui sera la version gardée, elle a raconté qu'elle finit au bord de l'évanouissement.
Ça valait la peine: la bande originale passe trois semaines en tête des ventes en Angleterre, ce qui est une première pour ce genre de disque, et les reprises du titre se compteront par dizaines.


Saltzman et Broccoli vont pour la première fois connaitre les joies du jeu du chat et de la souris avec la censure, pour des raisons diamétralement opposée: si la Grande-Bretagne s'oppose à la violence, les États-Unis sont obsédés par le sexe. Et l'élément qui pose le plus de problème n'est pas de nature visuelle, mais textuelle. Le nom de Pussy Galore ("abondance de foufoune" ? Non, pardon: "de chatons", bien sûr) ne passe pas, et il faudra à chaque fois jouer avec la tournure d'esprit des censeurs pour expliquer que ce nom peut paraitre tout a fait inoffensif pour tout spectateur innocent. Comme le fera Honor Blackman avec chaque interviewer lui demandant ce qu'elle pense du nom de son personnage, retournant la question, en répondant étonnée "…Oh ! Vous voulez dire… Pussy ?" mettant son interlocuteur parfaitement mal à l'aise et affichant un large sourire.


L'avant-première à lieu à l'Odeon à Londres (qui va devenir un lieu traditionnel pour ce genre de manifestation) et dépasse tout ce qui avait pu advenir jusque-là. Honor Blackman parle 40 ans plus tard de la plus belle soirée de sa vie. Des vitres sont brisées, des bousculades surviennent constamment. La projection est pour la première fois opérée en présence d'un représentant de la famille royale, et un journal célèbre se fera une joie d'orner la première page de son édition du lendemain avec une photo du prince Philippe avec le titre "Pussy et le prince".


Geoffrey Shurlock, dirigeant de la MPAA (la alors très conservatrice Motion Picture Association of America) s'indigne que le film soit sorti en Grande-Bretagne sans que son association n'ait donné le feu vert aux Etats-Unis, ce qui va obliger Cubby Broccoli de sauter dans le premier avion pour le convaincre que tout va bien, et s'aide même du fameux article de presse avec le Prince pour asséner que si la très rigide Angleterre a accepté le prénom de l'héroïne sans broncher, il ne peut vraiment pas y avoir de problème dans un pays moderne comme l'Amérique.


Le film sera le premier de la série à gagner un oscar, par l'entremise de Norman Wanstall pour le son, qui était particulièrement fier du bruitage trouvé pour le chapeau d’Oddjob.


Le succès est colossal, bien plus important encore que celui rencontré par les deux premiers opus, et touche un public beaucoup plus large que précédemment. Désormais, tout le monde connait James Bond. Si le rendez-vous avec le placement de marque a été légèrement reporté, la rencontre avec le merchandising de masse est évidente. La marque de jouets Corgi écoulera près de 6 millions d'Aston Martin miniatures, ce qui ne sera seulement battu dans l'histoire de la marque que par la Batmobile.


Pour donner une idée du succès planétaire inaltérable du film, il nous suffira de mentionner le score que réalise la chaine ABC en 1972, 8 ans après la sortie du film. Les 49% d'audience de la chaine constitue un record si phénoménal qu'ABC achète les droits de la série Bond pour les 28 ans à venir (jusqu'en 2000, autrement dit).
Le film ne sera dans un premier temps boycotté que dans un seul pays, Israël, en raison du passé de Fröbe, qui avait participé aux jeunesses Hitleriennes en 1927, à l'âge de 14 ans. L'acteur commence par se défendre en expliquant qu'il n'avait fait de la figuration dans ce parti, et le boycott sera finalement levé quand un citoyen autrichien viendra expliquer au consulat israélien de son pays que la mère de Fröbe lui avait permis d'échapper aux camps de la mort.


L'avant-première française est la dernière à laquelle Sean Connery participe (en France à l'occasion du tournage de Thunderball qui a commencé non loin de là), notamment à cause d'une jeune fille qui se jette dans l'Aston Martin, l'acteur ayant eu l'inconscience d'ouvrir la fenêtre pour saluer la foule.


Terminons par quelques fun-facts en vrac autour de ce marqueur énorme de son époque.
Deux Goldfinger ont très mal vécu la sortie du film. D'abord le grand architecte international Ernö Goldfinger, dont Fleming s'était inspiré pour créer un méchant égocentrique auto-satisfait. Il menaça la production d'un procès mais n'alla pas au bout de son action. Un autre Goldfinger, beaucoup plus anonyme et français, vit sa vie tourner au mini-cauchemar quand il ne put plus, du jour au lendemain, se rendre dans quelque endroit public que ce soit sans se voir railler ou apostropher avec une (trop) grande familiarité.


La plaque de la Rolls Royce Phantom III est AU1, qui représente à la fois les initiales de son propriétaire mais également le symbole de l'or. Enfin, jusqu'à 007 Spectre Honor Blackman demeurera la James Bond girl la plus âgée avec ses 39 ans, avant que Monica Belluci la détrône avec 11 ans de plus.


Quand Guy Hamilton reçoit des lettres de (souvent jeunes) observateurs lui faisant remarquer des anomalies du film (comme un marque de pneus différents d'une scène à l'autre), le réalisateur prend le temps de répondre que le spectateur a parfaitement remarqué" une des 6 erreurs flagrantes qui ont été insérées dans le récit", et qu'il lui en reste plus que 5 à découvrir pour gagner un repas avec lui, espérant ainsi que l'auteur de la lettre ira voir le film une bonne dizaine de fois supplémentaire.


LA CAUSERIE FINALE AU COIN DU FEU D'ONCLE NESS
(Le feu du carburateur, alors qu'il rétrograde de manière trop violente avec sa Renault 14, pour essayer de stopper ce véhicule devenu fou après avoir été éjecté d'un jumbo-jet sur le toit d'un chalet d'une station de ski avant de rebondir sur les pistes enneigées et finir sa course démente sur une piste de bobsleigh, poursuivi par des ninja grecs en fauteuils roulant montés sur des patins à glace, sous les yeux apeurés d'une agente du Mossad assise sur la siège passager, agissant sous la couverture glamour d'une chargée clientèle chez Groupama à Limoges.)


Une partie des fans Bondiens partagent la théorie du "troisième film". Cette théorie veut que le troisième film de chaque acteur serait le meilleur, parce qu'il se serait complètement approprié le rôle, et aurait désormais un mot à dire dans la conduite de son personnage. Cette théorie fonctionne au moins pour trois des interprètes de l'espion, puisque Goldfinger, L'espion qui m'aimait et Skyfall sont assurément trois des meilleurs Bond de la série. La chose est plus discutable le avec Brosnan, puisque beaucoup considèrent que GoldenEye reste son moment de bravoure. La théorie fonctionnait également à plein pour Dalton et Lazemby, dont on attend toujours le meilleur film (à titre personnel, l'auteur de cet article s'inscrit en faux pour ce dernier, puisqu'il considère Au service secret de sa Majesté comme un des tous meilleurs Bond, si ce n'est le meilleur).


Goldfinger, malgré d'évidentes impasses scénaristiques, cristallise la recette Bondienne définitive, et représente l'épisode auquel tous les autres seront comparés, selon qu'ils essaient lui rendre hommage ou au contraire qu'ils essaient de s'en affranchir. Il est difficile aujourd'hui de mesurer l'impact foudroyant qu'il constitua pour les foules (amatrices ou non de sensations fortes sur grand écran). Il définit ainsi, au milieu des années 60, la quintessence de ce qui pouvait se faire de mieux en termes d'action, de glamour et d'inventions visuelles.


Ce qui est particulièrement intéressant cette fois est l'introduction d'une nouvelle dimension du héros, qui dépasse sa fonction de bureau des cœurs meurtrier au sang froid. Le scénario développe sa capacité de se sortir des pires situation grâce à sa rapidité de réflexion (le "quick thinking") face à une menace qui le dépasse. C'est ainsi qu'il se sert d'un ventilateur au moment d'être troué de balles, utilise une information glanée peu de temps auparavant pour arrêter un laser, ou exploite à merveille un chapeau métallique coincé quand il à affaire à plus fort que lui. La palette est plus complète, et le personnage peut ainsi intéresser le jeune ado avide de sensations fortes comme l'intellectuel en recherche de sensations populaires coupables.


A la fois parfait et imparfait mais totalement iconique, Goldinfger fait en tout cas pénétrer la saga dans une nouvelle dimension, définissant avec ce nouvel archétype des frontières contre lesquelles ses successeurs viendront en permanence se cogner, entre aventures over-the-top et humour détaché, flirtant presque toujours avec une auto-parodie coupable et provoquant un plaisir parfois teinté de facilité. Quelle que soit la nature du succès, il est toujours très compliqué de garder une ligne claire entre continuité, innovations, hommage, et un fan service qui est en train de naitre.
Rien n'indiquait encore que le succès serait au rendez-vous pour au moins 22 épisodes supplémentaires.


Ceci est le neuvième dossier des 27 que comporte la série des Archives James Bond
 
Un dossier à retrouver avec musique et illustration sur The Geeker Thing

guyness

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