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T'es pas le parrain qui glisse le plus loin

On a vanté cette adaptation du brulôt de Roberto Saviani comme une plongée réaliste, sans concession et inédite, dans le monde de la mafia. Soit.

Mais après visionnage, l'accueil dythirambique et unanime dont il a bénéficié me confirme pour la énième fois que les critiques ciné, dans leur grande majorité, c'est pas le cinéma qui les intéresse: c'est autre chose.

Il y a quelque chose qui me dérange dans cette prétention de faire du passé table rase, de faire comme si le film de gangster, un genre quasi centenaire, n'aurait été globalement qu'un vaste divertissement sans profondeur, et que celui-ci n'aurait de valeur que dans une telle approche quasi-documentaire, à fleur de peau, caméra à l'épaule, etc.

Comme si Scarface, Suburra et autres Affranchis n'étaient pas déjà chacun à leur manière une dissection du monde du banditisme, mais aussi du monde en général et de nous mêmes.

Le problème de Gomorra, bon, je pourrais dire que le bouquin et la série sont mieux, mais je vais développer... le problème de Gomorra, donc, c'est que derrière son approche toute en film choral gros plan serrés et image granuleuse dans une cage d'escalier décrépie de la Scampia, il n'offre aucune perspective. A trop vouloir coller à la réalité, il n'en décolle jamais. A tout vouloir voir de près, il ne voit rien de loin.

Le film de gangsters offre pourtant la possibilité d'ouvrir notre champ de vision, d'évoquer non seulement le crime, mais plus largement ses implications sociales, politiques, communautaristes, éthiques, économiques, ou même religieuses. C'est toute la force du genre: en se basant sur les personnages à priori les moins intéressants qui soient, à savoir sur ces trous de balle intégraux que sont les bandits de toutes sortes, le film de gangsters transcende et sublime ces derniers, pour parler in fine de nous et de notre humanité. Tenez, dans Suburra, on a Pierfrancesco Favino en député amateur de parties fines, qui pisse littérallement depuis le balcon sur la Place du Peuple pendant qu'une pute mineure fait une overdose dans sa chambre d'hotel. Un simple plan comme ça m'évoque plus de choses que n'importe quelle saynète de ce Gomorra.

Bien sur, Gomorra n'est pas l'exemple le plus déplaisant et poseur qui soit dans le genre cinéma-vérité. C'est d'ailleurs toute l'hypocrisie de cette dimension pseudo-docu: en réalité, derrière ses airs de métrage fauché quasi amateur, le film a une mise en scène assez travaillée, il sait mettre de l'ampleur, de de la profondeur à certains moments, y a de bonnes idées et des scènes intéressantes -comme ce rite initiatique où les gamins portent un gilet pare-balles pour se faire tirer dessus par les grands du quartier.

L'ennui avec Gomorra, c'est que derrière son austérité dardennienne très festival-friendly et son alignement de scènes visant à susciter l'indignation facile (l'extorsion du vieillard, les meurtres d'enfants, l'enfouissement de déchets toxiques), les bandits n'y sont jamais autre chose que des trous du cul. Ils ne sont que ça. Oui, la mafia est une chose atroce, et les mafieux sont des sales types qui extorquent, empoisonnent, qui tuent femmes, enfants et innocents. Ah, la belle affaire, voila qui est inédit et surprenant. Oui ce sont des parasites, des loosers en maillot de foot et gourmettes vulgos qui s'entassent dans des taudis, palpant des liasses de billets humides servant à assouvir leurs besoins superficiels et leur soif d'ostentation médiocre -strip clubs, grosses caisses, putes siliconées et cabines à UV. Oui ce ne sont pas des Robin des Bois modernes au gout vestimentaire sans faille, au charisme ravageur et aux souliers impeccables. Mais il faut vraiment pas avoir vu beaucoup de films de mafieux, ou alors pas des plus récents que Little Caesar, pour penser qu'une telle approche serait révolutionnaire. Dans Les Affranchis, l'aura de glamour qui enveloppe le début du film ne sert qu'à mieux piéger le spectateur dans le tourbillon de violence sordide qui va suivre. Casino, Scarface et autres Parrains, sont des tragédies qui finissent tous dans des bains de sangs invraisemblables. Et Benoit Poelvoorde est hyper drole et attachant quand il joue au tueur à gages dans C'est Arrivé Pres de Chez Vous, et ce alors qu'il commet des choses épouvantables sous nos yeux. C'est tout ce jeu avec les attentes et l'attachement/détachement du spectateur qui est intéressant dans le film de mafieux.

Gomorra se croit plus malin que les classiques du genre, mais au final c'est un film cousu de fil blanc (comment ne pas deviner ce qui va arriver aux deux gamins?), à sens unique, calibré pour de l'indignation de festival facile. Les mafieux y sont affreux, point. Or, la force des classiques du genre, c'est que les mafieux n'y sont jamais si affreux que ça. Parfois même au contraire.

Si le but était de faire un documentaire sur la mafia, eh bien il existe par exemple Le Poison de la Mafia, qui m'a personellement 20x plus bouleversé sur la question du trafic de déchets toxiques.

Et la série et le bouquin sont mieux.

Biggus-Dickus
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le 20 nov. 2022

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Biggus Dickus

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