Le Grizzly, le renard et Treadwell.
La première chose qui m'a frappé, et cela a sûrement été le cas pour bon nombre de spectateurs (dont mon collègue de visionnage ce soir là en tout cas), c'est que Timothy Treadwell semble être un parfait demeuré, un abruti, ou au moins, un être légèrement débile et à la naïveté sans limites.
Avouons-le, un homme qui vit seul dans la nature, surnomme un grizzly pesant dans les 300 kilos "Monsieur Chocolat" et passe sa vie à défendre une cause qui n'existe pour ainsi dire pas n'est pas vraiment quelqu'un que l'on qualifie "d'intelligent" dans le commun des mortels.
Mais un énergumène pareil, ça attise la curiosité, et puis faut dire qu'il est attachant le bougre, avec sa coiffure d'ado un peu attardé, son esprit infantile coincé dans un corps d'athlète, ses lunettes de soleil et sa façon quasi pudique de se montrer devant sa propre caméra.
Du coup, on se laisse prendre au jeu, on veut comprendre pourquoi il fait ça le gars. On découvre qu'il a une histoire qui l'a marqué. D'abord bon élève, sportif accompli et fils modèle, Timothy est adoré de ses parents et de ses amis. et puis, tout à coup, il se blesse au dos, traîne avec de "mauvaises fréquentations", se drogue et devient alcoolique. Son père a "mit le hola" lorsque il a voulu fumer ses joints à la maison, alors il s'est barré, et sa vie ne s'est pas améliorée. Et puis il y a les filles qui semblent l'obséder, on devine un amour déchu, un coeur brisé. Et au final, il décide de se casser chaque été dans don labyrinthe des Grizzlis, ce lieu supposé dangereux, mais qui lui convient bien mieux que les endroits où les hommes vivent habituellement. Et de filmer son quotidien, ce qui lui permet de se confesser à sa caméra, qui devient sa meilleure amie, et qui nous fait découvrir un homme plus profond qu'il ne le paraît via son discours. Après 15 ans de cette vie qui l'aide à guérir de ses blessures, il se fait déchiqueter brutalement par un ours, ainsi que sa petite copine de l'époque. L'aventure est terminée, sa mort donne raison à ses détracteurs, mais son rêve est accompli: il est mort parmi les grizzlys.
Ce qui est dommage dans ce film, c'est qu'à peu près tout ce qu'il y a autour des images prises par Treadwell est inutile, ou en tout cas maladroit. Bien que la narration est naturelle et jamais oppressante, les interviews sont peu voir pas du tout naturelles, la mise en scène est exagérée et la plupart des témoignages ne servent pas à grand chose. La partie durant laquelle ses parents s'expriment reste pertinente, mais le meilleur apport extérieur reste celui de ce type qui bosse dans une sorte de musée de grizzly qui explique que Treadwell, qui se revendique comme un défenseur des grizzlys, ne fait en réalité que leur causer du tort en les habituant à la présence de l'homme. Ce qui lance le débat: peut-on réellement vivre avec la nature en tant qu'homme? Est-il possible de quitter ce statut qui nous est conféré malgré nous pour communiquer avec les animaux? Les magnifiques images prises par Treadwell avec des renards qui le suivent partout et lui volent sa casquette semblent dire que oui, mais son décès (qui est peut être voulu, avance très timidement Herzog à la fin), brutal et sanglant, causé par cette même nature, est un rappel à l'ordre sans concessions.
Le plus gros défaut du film provient sans doute du fait qu'il prétend ne pas vouloir être macabre en traitant la mort de Treadwell (Herzog qui pleure presque en écoutant l'enregistrement audio de l'attaque fatale et qui recommande de le détruire), mais qui revient quand même maintes fois, trop de fois même, sur la question. Avec notamment ce médecin légiste superflu et morbide au possible, qui précise bien qu'il y a des photos du cadavre. Du coup, évidemment que tu te demandes à quoi peut bien ressembler un mec qui s'est fait bouffer vivant et dont on a retrouvé que la cage thoracique et un bout de bras. C'est dans ta tête, t'y peux rien.
Finalement, le film aurait été parfait si il n'avait été constitué que des images de Treadwell. elles sont si authentiques, si magiques, si incroyables, qu'elles constituent une archive unique en la matière. D'ailleurs, même si Treadwell était loin d'être un scientifique, son travail en tant que cinéaste et metteur en scène (son sens du détail était plus affiné qu'on pourrait le croire à première vue) font de ses vidéos un matériel inédit et scientifique.
A voir pour la leçon donnée par la nature, pour le plaisir des yeux, pour nous rappeler que nous ne sommes que des hommes, mais que certain sont quand même davantage que ça. Tout est une question de passion.