Herzog, ce cinéaste, Herzog, cet humaniste

Avant le visionnage de Grizzly Man, Je ne connaissais pas grand chose de ce cher Herzog. Je savais seulement qu'il comptait parmi les réalisateurs du Nouveau Cinéma Allemand des années 60-70, aux côtés de Wenders. Quant au documentaire d'Herzog lui-même, j'en ai fais la connaissance par une vidéo "Lost Media" du très bon vidéaste, spécialisé dans l'horreur, du nom de Feldup, qui évoquait justement le cas Timothy Treadwell. Si l'extrait de la vidéo en question avait eu de quoi m'intriguer et susciter mon intérêt, il s'agissait d'un extrait de vidéo, d'une dizaine de minutes, non un long-métrage de près de 2h. Je ne me voyais pas regarder un documentaire de cette durée, qui plus est, sur le thème d'un fanatique écolo. Mais en voyant les notes élogieuses de mes éclaireurs, je me suis laissé séduire, tel un papillon attiré par la lumière la nuit.

Quelle claque ! Quelle agréable surprise ! Quelle justesse émane de ce documentaire !

La thématique du film d'Herzog est la suivante : On ne peut dompter la nature. Mais est-ce que cela est suffisant pour résumer l'œuvre du réalisateur allemand ? Evidemment non.

Herzog à travers son film nous dépeint le portait ambivalent, à la fois touchant et agaçant, terriblement complexe, de l'écologiste Timothy Treadwell. Mais cela, il le fait sans jamais émettre de jugements de valeur à son égard ni sans jamais prendre parti envers ses actions. Le réalisateur du Nouveau Cinéma Allemand cherche constamment à nous faire réfléchir sur le personnage que nous avons en face de nous, de sorte à ce que l'on puisse, nous spectateur, fonder notre propre opinion sur Treadwell. En cela, les procédés de mise en scène documentaires sont assez conventionnels, le réalisateur utilisant majoritairement des images d'archives produites par Treadwell et des entretiens/témoignages de personnes l'ayant côtoyé. Néanmoins, la variété d'archives et de témoins est telle que l'on arrive à une pensée nuancée, plurielle et non univoque. Chaque personne interviewée va nous révéler UNE vérité sur l'écologiste : sur sa vie, sur son enfance, sur sa mort, sur ses actions en Alaska. Certaines fois, les personnes interrogées ne se gênent même pas de dire devant la caméra ce que celles-ci pensent réellement de Treadwell. Je pense notamment au pilote d'avion qui déclare avec virulence que "Treadwell a eu ce qu'il méritait".

Le spectateur a le choix. Qui va-t-il croire ? Quelle vérité va-t-il choisir pour comprendre la vie de l'écologiste ? Treadwell était-il cet "écologiste stéréotypé" ou ce bienfaiteur amoureux de la nature ? Ou peut être les deux ?

On arrive parfois à le détester, notamment en ce qui concerne sa paranoïa et son narcissisme excessif, mais d'autres fois, il nous apparaît d'une sympathie déconcertante. Je pense notamment à la scène des excréments de grizzly ou encore celle dans laquelle il parle de sa volonté d'être homosexuel. Les images d'archives servent à cela, elles sont un véritables compléments aux témoignages.

Elles viennent illustrer, démontrer, et parfois contrebalancer les témoignages des personnes. Et je crois que rarement des images d'archives n'ont été aussi ... cinématographiques ?

C'est d'ailleurs cette qualité que perçoit Werner Herzog en la personne de Treadwell, le réalisateur l'appelant "cinéaste" à de nombreuses reprises. Treadwell aurait à lui seul capturé environ 100h d'images de la nature, "des moments de vie qu'aucun réalisateur ne saurait prendre en vidéo" affirme Herzog. La plupart des plans de l'Alaska sont absolument somptueux, rarement la nature aura été capturée de si prêt, à cette époque-ci, en 2000. L'écologiste américain savait comment mettre en scène la nature, mais aussi comment se mettre en scène. Et en cela, ça force le respect.

Je finirai par dire que Grizzly Man ce n'est pas un film sur la mort, celle de Treadwell. Même si cette dernière occupe une part non négociable dans l'affaire Treadwell, le film ne cherche à aucun moment à cultiver un semblant de curiosité morbide chez le spectateur. Au contraire, le documentaire d'Herzog ne cesse d'être bienveillant à l'égard de son spectateur, comme en témoigne sa fin, à la limite de l'idyllique (à l'image de son personnage d'ailleurs). D'abord, les évènements de la vie de l'écologiste ne sont en aucun cas racontés de manière chronologique. On ne termine pas le film sur la mort de ce dernier, mais bien par le dépôt de ses cendres sur les terres qui lui ont servi de refuge pendant des dizaines d'années. Ensuite, il y a une certaine pudeur chez Herzog en ce qui concerne la mort. On le sait, c'est dit dans le film, le réalisateur a été contraint, pour les besoins de son long-métrage, d'écouter les derniers instants (enregistrés) de Treadwell, mais aussi de voir les images de sa dépouilles. Il y a une volonté de préserver son spectateur des horreurs vues et entendues. La séquence la plus représentative de cela reste sans nulle doute, celle de l'écoute de l'enregistrement, scène extrêmement poignante. Dans cette dernière, le spectateur n'a ni accès à ce qu'il se trame à l'intérieur de l'enregistrement, ni accès aux expressions faciales du réalisateur, qui écoute le contenu de la cassette. Mais on arrive à voir, par le visage décomposé de Jewel, l'ex-femme de Treadwell, que ce que le réalisateur est en train d'écouter est absolument terrifiant. La séquence se clôt sur une phrase qui vient confirmer nos craintes : "Jewel il ne faut jamais que tu écoutes cette cassette, détruis-là !".

Le hors champ, c'est un procédé de cinéma vieux comme le monde, mais s'il est utilisé avec intelligence, cela peut donner lieu à des moments du 7ème art d'anthologie !

Comment préserver le spectateur tout en arrivant à susciter de la terreur en lui ? C'est une leçon de cinéma qui nous est donné ici.

Cast17
8
Écrit par

Créée

le 3 mars 2024

Critique lue 1 fois

Théo Cast

Écrit par

Critique lue 1 fois

D'autres avis sur Grizzly Man

Grizzly Man
Moizi
9

Dis maman, quand je serai un chat, je pourrai manger des croquettes ?

Je crois que je n'avais jamais entendu parler de ce film, même en cherchant des films à voir dans la filmographie d'Herzog, jusqu'à il y a quelques jours... Et c'est absolument fabuleux. C'est un...

le 20 mars 2016

67 j'aime

2

Grizzly Man
zombiraptor
8

Peut-être la plus belle scène de combat de l'Histoire du Cinéma

Bon... Pour être tout à fait franc, ce qui m'avait poussé en 2005 à me payer ce dvd n'avait (quasiment) aucun lien avec le film lui même. L'étalage de cette affiche sur les devantures des marchands...

le 6 mars 2013

67 j'aime

14

Grizzly Man
plathoon
8

Il voulait être des nôtres

Il pensait être notre égal. Il croyait qu'en habitant et vivant près de nous, nous l’aurions accepté. Il était arrogant, nous considérant comme des peluches, il disait être un ami mais il était...

le 21 août 2013

36 j'aime

13

Du même critique

Amanda
Cast17
8

Justesse de l'émotion

Amanda est le second long-métrage du réalisateur contemporain Mikhael Hers, dont la courte filmographie témoigne déjà d'un cinéma prometteur, hautement qualitatif. Ce film pourrait faire office de...

le 13 déc. 2023

2 j'aime

Gone Girl
Cast17
8

Anatomie d'un couple

"Qu'est-ce qu'on s'est fait tous les deux ? Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ?"Qu'il est commode à l'heure actuelle de critiquer le mariage, ce pacte social dit "dépassé", autant qu'il est aisé de...

le 15 févr. 2024

1 j'aime