On peut trouver ce film soporifique - il ne s'y passe rien - et déprimant - aucune rédemption - mais justement, il présente une galerie de personnages médiocres et diagnostique l'époque.
Suit ci-dessous un aperçu.


Rôle majeur dans la carrière de Jonathan Pryce, cet opportuniste raté, carriériste à deux livres, capable de tous les renoncements et de toutes les compromissions, mensonge incarné qui vit dans un minuscule appartement mais conduit une grosse tuture, s'entiche d'une petite bourgeoise méprisante qui travaille comme lui pour la BBC. Elle se vante d'avoir compris "malgré ses capacités limitées de femme" que les hommes avaient tort, mais aussi d'avoir été la seule à garder son boulot. "Je pouvais voir qu'il y avait deux voies : pouvoir ou non pouvoir. Et dans la voie du non pouvoir il y avait beaucoup de sentiments de sororité, de masochisme et de frustration. Et dans l'autre voie, je pouvais continuer à travailler. Alors bien sûr, j'ai voté avec les hommes et toutes les autres femmes ont démissionné."


Il préfère lui dire que ses parents sont morts plutôt que révéler qu'ils sont des prolétaires. Plus tard, il mentira à la mère historienne de la demoiselle en se présentant comme un socialiste, manoeuvre pour se rapprocher de la fille et par la même occasion obtenir des informations sur la crise du canal de Suez, sur laquelle il doit écrire un article "digest" pour un manuel universitaire afin d'arrondir ses fins de mois (le milieu journalistique a subi compression des effectifs et précarisation de l'emploi, ce qui rend inaccessible à notre héros la promotion sociale dont il rêvait).
La dame lui cite Kundera, dont l'un des personnages déclare que la lutte de l'homme contre la tyrannie est la lutte de la mémoire contre l'oubli. "Tout le monde doit être un historien. Dans ce pays, par exemple, nous risquons de perdre des libertés acquises de haute lutte en nous endormant dans un perpétuel présent."


Même si tout et tout le monde y est faux et sans âme, le film accable particulièrement notre héros, qui traite avec négligence toute autre femme que l'objet de son amour mal placé, et assiste à un discours de la mère Thatcher expliquant qu'avec la victoire des Falklands, l'empire a retrouvé sa grandeur.
L'absence d'intérêt de ses collègues et lui pour l'intervention militaire anglaise symbolise le renoncement de la caste intellectuelle à l'engagement politique. Pis encore, ayant l'opportunité de rendre compte d'un mouvement pacifiste (le campement anti-nucléaire de Greenham Common), il les considère seulement comme des "barjots", en s'alignant sur ses employeurs.
Lorsqu'il présente à son commanditaire l'angle sous lequel il envisage l'affaire de Suez, il s'adapte au lectorat américain auquel il est destiné. Avec le recul, son discours est sinistrement prémonitoire : "L'ennemi de mon ennemi est mon ami."
"Maintenant, c'est comme si nous nous redécouvrions. Nous agissons indépendamment ; alors que la ligne avait été depuis Suez que nous ne pouvions pas lever le petit doigt sans les Américains."


Le titre original (comme toujours plus subtil que sa version française, moins maligne que descriptive et faussement futée), "Ploughman's lunch / le repas du laboureur", est expliqué par un réalisateur de pubs qui se réjouit que les Anglais aient la cote dans le monde de la réclame : ce "repas traditionnel" du travailleur a été inventé par des publicitaires (insérer gros plan sur une tranche de fromage sous emballage plastique sous vide).


Illustrant le thème de la fausse conscience, le journaliste étouffe le sentiment d'être un rouage de la machine du mensonge généralisé.
"Tu es un employé dans un bureau miteux. Tu es content de la facilité avec laquelle tu peux rédiger des résumés et des bulletins sur la base d'imprimés de téléscripteurs d'agences de nouvelles. Sachant juger de la longueur, finissant un communiqué là où il faut. Faisant rouler les choses en souplesse. Choisissant un ordre qui fasse sens. Sachant instinctivement ce que tu peux et ne peux pas faire. C'est le professionnalisme.
- Et tu en es à cette troisième étape?
- Non, il y en a une quatrième, et c'est l'insensibilité."


Après ça, Jonathan Pryce mettra le cap sur le Brazil !



  • "there is no alternative"

ChatonMarmot
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 5 mars 2021

Critique lue 43 fois

2 j'aime

4 commentaires

ChatonMarmot

Écrit par

Critique lue 43 fois

2
4

D'autres avis sur Guerres froides

Guerres froides
YgorParizel
4

Critique de Guerres froides par Ygor Parizel

Ce film brasse de nombreux thèmes comme la politique, le journalisme et les Crises de Suez et des Malouines mais l'ensemble est franchement barbant. Les acteurs et tout semblent distants, on ne...

le 24 août 2013

Du même critique

X-Men : Dark Phoenix
ChatonMarmot
2

Pas de cul pour le MCU

**Pinacle tragique des X-men de Chris Claremont, inaugurant une vague de débauchages anglais par l'écurie Marvel, la transformation de Jean Grey en Phénix Noir et la mort de l'Elektra du Daredevil de...

le 5 juin 2019

52 j'aime

55

Midsommar
ChatonMarmot
10

All you need is love...

Ari Aster continue d'exploser les limites du genre horrifique. Il propose un renversement de perspective, une expérience psychédélique et philosophique. Son but est de nous faire entrer dans la peau...

le 1 août 2019

42 j'aime

127

90's
ChatonMarmot
5

futurs vieux cons

Un film qui rend compte de la vie familiale et des rituels initiatiques d'un jeune garçon dans le milieu du skateboard ; ce qui sans être pour moi très captivant, m'interpelle sur un point : le...

le 31 mars 2019

29 j'aime

24